"The Dorje Dradul on Drala, Encampment, circa 1981" |
Il est connu que Chogyam Trungpa (et ses admirateurs) aimait les déguisements. Pas n’importe quels déguisements. Il s’agit le plus souvent de l’utilisation d’habits occidentaux symboliques, d’autorité, à destination de leurs disciples occidentaux. Coloniser les colonisateurs, certains l'ont appelé, comme simple message artistique ou tentative de conscientisation cela aurait été de bonne guerre.
“Il y a l’esthétique du colonialiste, le look de l’armée, les costards 3-pièces du businessman, un esthétique japonisant, etc. L’école Aro-gter (Révélation de la femme visionnaire Aro Lingma 1886 – 1923) appelle cette approche esthétique “la Manifestation de l’apparence nirmanakaya à travers des modalités culturelles” (“Manifesting nirmanakaya appearance through cultural modalities”).
Le détenteur actuel de cette lignée, Ngak'chang Rinpoché commente :
“Il est peu compris dans le Vajrayana que la dimension du nirmanakaya est une dimension dans laquelle une expression infinie devient possible en termes de communication compatissante. Il n'y a pas d'aspect du monde phénoménal qui ne puisse être utilisé par les maîtres éclairés pour assurer la transmission. Le maître vajra peut apparaître sous de nombreuses formes différentes : en tant que moine ou nonne ; en tant que ngakpa ou ngakma ; en tant que chasseur, comme dans le cas de DoKhyentsé Yeshé Dorje ; ou en tant que guerrier illuminé comme dans le cas de Ling Gésar, et ici - Chögyam Trungpa Rinpoché. L'apparence militaire ou martiale est une glorieuse offense au politiquement correct et, en tant que telle, pose un fabuleux défi à notre appréciation restreinte du Dharma. Pour comprendre authentiquement le Vajrayana, nous devons comprendre que porter le corps des visions, en ce qui concerne le yidam, est une pratique qui s'étend au gar'cham ou à la danse tantrique - mais la danse tantrique n'est qu'une des nombreuses modalités possibles.”[1]Je reproduis ici cette définition, qui explique clairement de quoi il en retourne : “offenser le politiquement correct” des adeptes occidentaux, dans le cadre de la destruction de la saisie égotique.
« Le problème est que l'ego peut tout convertir à son propre usage, même la spiritualité. L'ego tente constamment d'acquérir et d'appliquer les enseignements spirituels à son propre bénéfice. »“L’ego” est donc ce qui résiste à “l’acquisition et l’application des enseignements spirituels à son propre bénéfice. “L’ego” d’un occidental lui vient de son milieu, de son conditionnement, de ses valeurs, de son “politiquement correct”. Il est connu que les premiers disciples de Trungpa étaient des jeunes américains dans les années 60-70, souvent en rébellion contre les valeurs et les mœurs de leur époque et de l’Amérique impérialiste, et en même temps en quête spirituelle.
« Alors, si notre maître parle de renoncer à l'ego, on essaye de mimer la renonciation. On fait les mouvements, les gestes appropriés, mais en fait on ne veut à aucun prix sacrifier le moindre élément de son mode de vie. On devient un acteur averti et, tandis que l'on demeure sourd et aveugle à la signification véritable des enseignements, on trouve quelque confort à faire semblant de suivre le sentier. »
Pratique de la voie tibétaine : Au-delà du matérialisme spirituel de Chögyam Trungpa
Quand les disciples occidentaux commencent à suivre ce maître tibétain, le parcours est initialement assez classique et progressif, et Trungpa leur enseigne un bouddhisme avec un vocabulaire et des concepts souvent empruntés à la psychologie, aux sciences des religions comparées, etc., et au slang américain. Cela le rend très populaire. Quand ses premiers disciples arrivent au niveau de l’enseignement du vajrayāna, c’est leur “ego” qui devient la cible, c’est-à-dire tout ce qui résiste à “l’acquisition et l’application des enseignements spirituels à son propre bénéfice”, et notamment leurs valeurs : “le politiquement correct”. Il s’agit désormais d’ “insulter l’ego”, de “briser les concepts”, et d’ “offenser le politiquement correct”, en ramenant les egos hippies, anarchistes et progressistes à la raison “spirituelle” adéquate. Le gourou se déguise alors en aristocrate de la Vieille Angleterre (dont la femme descendrait des Habsbourg…), en colonialiste, en général, en magnat de pétrole, en businessman, et fait déguiser ses disciples en colons, en gardes de corps, en soldats, en employés de maison, en butlers et en soubrettes. Des rapports d’autorité, de dominant-dominé, où l’obéissance et la docilité (“meekness”) deviennent les mots-clès. Tant que quelque chose résiste à ces “enseignements spirituels à son propre bénéfice”, l’ego est toujours là, et doit être davantage offensé et insulté. Y compris par l’humiliation, le harcèlement, la violence, le viol, les abus de tous genres… C’est “la danse tantrique” du maître et des disciples “à travers des modalités culturelles”, parfois avec un "sens d'humour".
Les clercs tibétains sont émerveillés par la transformation des disciples de Trungpa. Dilgo Khyentsé Rinpoché avait de grands espoirs en Trungpa (couronnement du Sakyong), et il croyait dur comme fer en sa capacité révélatrice. D’autres témoignages de disciples de Trungpa suggèrent que Karmapa XVI n'était pas non plus insensible au génie de Trungpa. Naomi Levine, l’auteure de “The miraculous 16th karmapa” rapporte que Karmapa XVI avait dit que “Trungpa était le Padmasambhava de l’Occident"...[2]
Avec l’admiration de ces deux grands maîtres tibétains, il n’est pas étonnant que de plus jeunes générations de maîtres tibétains aient voulu le prendre pour modèle, lui et ses méthodes : Sogyal Lakar, Dzongsar Khyentsé, et maintenant Dilgo Khyentse Yangsi Rinpoché, etc.
“Aspirez à créer des connexions avec les gens, même ceux qui ne perçoivent qu’une bribe de votre T-shirt aux couleurs voyantes dans une foule, ce qui aura pour conséquence qu’un grain de dharma soit semé dans leurs esprits.”[3] (DJKR)
Sélection de déguisements de DJKR |
Ces lamas nostalgiques de la théocratie tibétaine ne veulent pas uniquement offenser “le politiquement correct” et “insulter l’ego” de leurs disciples, mais aussi “le politiquement correct” et “l’ego” de l’Occident, autrement dit les valeurs occidentales. Leur vajrayāna ne semble pas compatible avec l’Occident et ses valeurs. Selon eux, ce n’est pas au vajrayāna de s’adapter à l’Occident, mais à l’Occident de s’adapter au vajrayāna. Ce n’est pas au vajrayāna de prendre en compte les découvertes scientifiques nouvelles, mais à la science trop “matérialiste” de s'imprégner de “spirituel”. Oubliez “l’ego”, et remplacez ce terme par “volonté”, c’est simplement un clash de volontés. Entre des volontés théocratiques conservatrices et des volontés davantage progressistes. Il n’est absolument pas certain qu’au bout de la volonté théocratique conservatrice se trouvera l'Éveil, quelle que soit sa définition. Peut-être qu'on y trouvera uniquement une théocratie conservatrice, gouvernée par des élites qui descendraient de Padmasambhava, ses disciples ou de l’empereur du Tibet et son entourage. Des clercs réincarnés (tulkus), dont le Dalaï-lama a dit en privé (à Josh Baran), qu’au moins la moitié étaient des faux...[4]
"Treading the spiritual path is painful. It is a constant unmasking, peeling off layer after layer of masks. It involves insult after insult." The Myth of Freedom and the Way of Meditation, Chögyam Trungpa (1976)
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[1] “Ngak’chang Rinpoche comments:
"It is little understood with regard to Vajrayana that the dimension of nirmanakaya is one in which infinite expression becomes feasible in terms of compassionate communication. There is no aspect of the phenomenal world which cannot be employed by enlightened masters in terms of providing transmission. The vajra master can appear in many different guises: as monk or nun; as ngakpa or ngakma; as a hunter, as in the case of DoKhyentsé Yeshé Dorje; or as an enlightened warrior as in the case of Ling Gésar, and here – Chögyam Trungpa Rinpoche. Military or martial appearance is a glorious offense to the politically correct and, as such, poses a fabulous challenge to our constricted appreciation of Dharma. To authentically comprehend Vajrayana we need to understand that wearing the body of visions, with regard to the yidam, is a practice which expands into gar’cham or Tantric dance – but Tantric dance is only one of many possible modalities.” Venerable Chögyam Trungpa Rinpoche, Manifesting nirmanakaya appearance through cultural modalities.”
[2] Dans la vidéo (à 44:50) publiée sur le blog de Rob Hogendoorn.
[3] "Aspire to create connections with people, even those who catch no more than a glimpse of your brightly coloured T-shirt in a crowd, that result in the seed of dharma being sown in their minds." Source https://www.facebook.com/IAmSamLongSamIAm/posts/10221779572896678
[4] 48:00 Three years ago a top donor went to see the Dalai Lama about the Nxivm scandals. I was very involved in trying to get the DL not to get involved with that group. It was dangerous, and then became exceptionally dangerous. It caused a great deal of harm and abuse, and was really violent. One of the gelukpa monks* got very involved in the scandal, so I went to try to talk with the Dalai Lama about this and other things like that. At this meeting the Dalai Lama was very formal and said: “I don't want to talk anymore about these women who were abused. I don't want to talk about any lamas. I'm done with this! I can't control these people! I can't do anything! I am sick of it! if there is a problem they should sue or go to the media, but I don't want to talk about it. I'm done!
But during his hole career, Josh adds, he may have spoken half a dozen times like this (about Sogyal), all by all for five or ten minutes. Vidéo Viméo Mick Brown interviews Mary Finnigan and Rob Hogendoorn on the rise and fall of Sogyal Rinpoche