samedi 30 octobre 2021

Insulter l'ego de l'Occident

"The Dorje Dradul on Drala, Encampment, circa 1981"

Il est connu que Chogyam Trungpa (et ses admirateurs) aimait les déguisements. Pas n’importe quels déguisements. Il s’agit le plus souvent de l’utilisation d’habits occidentaux symboliques, d’autorité, à destination de leurs disciples occidentaux. Coloniser les colonisateurs, certains l'ont appelé, comme simple message artistique ou tentative de conscientisation cela aurait été de bonne guerre.

Il y a l’esthétique du colonialiste, le look de l’armée, les costards 3-pièces du businessman, un esthétique japonisant, etc. L’école Aro-gter (Révélation de la femme visionnaire Aro Lingma 1886 – 1923) appelle cette approche esthétique “la Manifestation de l’apparence nirmanakaya à travers des modalités culturelles” (“Manifesting nirmanakaya appearance through cultural modalities”).

Le détenteur actuel de cette lignée, Ngak'chang Rinpoché commente :
Il est peu compris dans le Vajrayana que la dimension du nirmanakaya est une dimension dans laquelle une expression infinie devient possible en termes de communication compatissante. Il n'y a pas d'aspect du monde phénoménal qui ne puisse être utilisé par les maîtres éclairés pour assurer la transmission. Le maître vajra peut apparaître sous de nombreuses formes différentes : en tant que moine ou nonne ; en tant que ngakpa ou ngakma ; en tant que chasseur, comme dans le cas de DoKhyentsé Yeshé Dorje ; ou en tant que guerrier illuminé comme dans le cas de Ling Gésar, et ici - Chögyam Trungpa Rinpoché. L'apparence militaire ou martiale est une glorieuse offense au politiquement correct et, en tant que telle, pose un fabuleux défi à notre appréciation restreinte du Dharma. Pour comprendre authentiquement le Vajrayana, nous devons comprendre que porter le corps des visions, en ce qui concerne le yidam, est une pratique qui s'étend au gar'cham ou à la danse tantrique - mais la danse tantrique n'est qu'une des nombreuses modalités possibles.”[1]
Je reproduis ici cette définition, qui explique clairement de quoi il en retourne : “offenser le politiquement correct” des adeptes occidentaux, dans le cadre de la destruction de la saisie égotique.
« Le problème est que l'ego peut tout convertir à son propre usage, même la spiritualité. L'ego tente constamment d'acquérir et d'appliquer les enseignements spirituels à son propre bénéfice. »

« Alors, si notre maître parle de renoncer à l'ego, on essaye de mimer la renonciation. On fait les mouvements, les gestes appropriés, mais en fait on ne veut à aucun prix sacrifier le moindre élément de son mode de vie. On devient un acteur averti et, tandis que l'on demeure sourd et aveugle à la signification véritable des enseignements, on trouve quelque confort à faire semblant de suivre le sentier. »
Pratique de la voie tibétaine : Au-delà du matérialisme spirituel de Chögyam Trungpa
“L’ego” est donc ce qui résiste à “l’acquisition et l’application des enseignements spirituels à son propre bénéfice. “L’ego” d’un occidental lui vient de son milieu, de son conditionnement, de ses valeurs, de son “politiquement correct”. Il est connu que les premiers disciples de Trungpa étaient des jeunes américains dans les années 60-70, souvent en rébellion contre les valeurs et les mœurs de leur époque et de l’Amérique impérialiste, et en même temps en quête spirituelle.

Quand les disciples occidentaux commencent à suivre ce maître tibétain, le parcours est initialement assez classique et progressif, et Trungpa leur enseigne un bouddhisme avec un vocabulaire et des concepts souvent empruntés à la psychologie, aux sciences des religions comparées, etc., et au slang américain. Cela le rend très populaire. Quand ses premiers disciples arrivent au niveau de l’enseignement du vajrayāna, c’est leur “ego” qui devient la cible, c’est-à-dire tout ce qui résiste à “l’acquisition et l’application des enseignements spirituels à son propre bénéfice”, et notamment leurs valeurs : “le politiquement correct”. Il s’agit désormais d’ “insulter lego”, de “briser les concepts”, et d’ “offenser le politiquement correct”, en ramenant les egos hippies, anarchistes et progressistes à la raison “spirituelle” adéquate. Le gourou se déguise alors en aristocrate de la Vieille Angleterre (dont la femme descendrait des Habsbourg…), en colonialiste, en général, en magnat de pétrole, en businessman, et fait déguiser ses disciples en colons, en gardes de corps, en soldats, en employés de maison, en butlers et en soubrettes. Des rapports d’autorité, de dominant-dominé, où l’obéissance et la docilité (“meekness”) deviennent les mots-clès. Tant que quelque chose résiste à ces “enseignements spirituels à son propre bénéfice”, l’ego est toujours là, et doit être davantage offensé et insulté. Y compris par l’humiliation, le harcèlement, la violence, le viol, les abus de tous genres… C’est “la danse tantrique” du maître et des disciples “à travers des modalités culturelles”, parfois avec un "sens d'humour".

Les clercs tibétains sont émerveillés par la transformation des disciples de Trungpa. Dilgo Khyentsé Rinpoché avait de grands espoirs en Trungpa (couronnement du Sakyong), et il croyait dur comme fer en sa capacité révélatrice. D’autres témoignages de disciples de Trungpa suggèrent que Karmapa XVI n'était pas non plus insensible au génie de Trungpa. Naomi Levine, l’auteure de “The miraculous 16th karmapa” rapporte que Karmapa XVI avait dit que “Trungpa était le Padmasambhava de l’Occident"...[2]

Avec l’admiration de ces deux grands maîtres tibétains, il n’est pas étonnant que de plus jeunes générations de maîtres tibétains aient voulu le prendre pour modèle, lui et ses méthodes : Sogyal Lakar, Dzongsar Khyentsé, et maintenant Dilgo Khyentse Yangsi Rinpoché, etc.
Aspirez à créer des connexions avec les gens, même ceux qui ne perçoivent qu’une bribe de votre T-shirt aux couleurs voyantes dans une foule, ce qui aura pour conséquence qu’un grain de dharma soit semé dans leurs esprits.”[3] (DJKR)
Sélection de déguisements de DJKR

Ces lamas nostalgiques de la théocratie tibétaine ne veulent pas uniquement offenser “le politiquement correct” et “insulter l’ego” de leurs disciples, mais aussi “le politiquement correct” et “l’ego” de l’Occident, autrement dit les valeurs occidentales. Leur vajrayāna ne semble pas compatible avec l’Occident et ses valeurs. Selon eux, ce n’est pas au vajrayāna de s’adapter à l’Occident, mais à l’Occident de s’adapter au vajrayāna. Ce n’est pas au vajrayāna de prendre en compte les découvertes scientifiques nouvelles, mais à la science trop “matérialiste” de s'imprégner de “spirituel”. Oubliez “l’ego”, et remplacez ce terme par “volonté”, c’est simplement un clash de volontés. Entre des volontés théocratiques conservatrices et des volontés davantage progressistes. Il n’est absolument pas certain qu’au bout de la volonté théocratique conservatrice se trouvera l'Éveil, quelle que soit sa définition. Peut-être qu'on y trouvera uniquement une théocratie conservatrice, gouvernée par des élites qui descendraient de Padmasambhava, ses disciples ou de l’empereur du Tibet et son entourage. Des clercs réincarnés (tulkus), dont le Dalaï-lama a dit en privé (à Josh Baran), qu’au moins la moitié étaient des faux...[4]

"Treading the spiritual path is painful. It is a constant unmasking, peeling off layer after layer of masks. It involves insult after insult." The Myth of Freedom and the Way of Meditation, Chögyam Trungpa (1976)
***

[1]Ngak’chang Rinpoche comments:
"It is little understood with regard to Vajrayana that the dimension of nirmanakaya is one in which infinite expression becomes feasible in terms of compassionate communication. There is no aspect of the phenomenal world which cannot be employed by enlightened masters in terms of providing transmission. The vajra master can appear in many different guises: as monk or nun; as ngakpa or ngakma; as a hunter, as in the case of DoKhyentsé Yeshé Dorje; or as an enlightened warrior as in the case of Ling Gésar, and here – Chögyam Trungpa Rinpoche. Military or martial appearance is a glorious offense to the politically correct and, as such, poses a fabulous challenge to our constricted appreciation of Dharma. To authentically comprehend Vajrayana we need to understand that wearing the body of visions, with regard to the yidam, is a practice which expands into gar’cham or Tantric dance – but Tantric dance is only one of many possible modalities
.” Venerable Chögyam Trungpa Rinpoche, Manifesting nirmanakaya appearance through cultural modalities.”

[2] Dans la vidéo (à 44:50) publiée sur le blog de Rob Hogendoorn.

[3] "Aspire to create connections with people, even those who catch no more than a glimpse of your brightly coloured T-shirt in a crowd, that result in the seed of dharma being sown in their minds." Source https://www.facebook.com/IAmSamLongSamIAm/posts/10221779572896678

[4] 48:00 Three years ago a top donor went to see the Dalai Lama about the Nxivm scandals. I was very involved in trying to get the DL not to get involved with that group. It was dangerous, and then became exceptionally dangerous. It caused a great deal of harm and abuse, and was really violent. One of the gelukpa monks* got very involved in the scandal, so I went to try to talk with the Dalai Lama about this and other things like that. At this meeting the Dalai Lama was very formal and said: “I don't want to talk anymore about these women who were abused. I don't want to talk about any lamas. I'm done with this! I can't control these people! I can't do anything! I am sick of it! if there is a problem they should sue or go to the media, but I don't want to talk about it. I'm done!

But during his hole career, Josh adds, he may have spoken half a dozen times like this (about Sogyal), all by all for five or ten minutes
. Vidéo Viméo Mick Brown interviews Mary Finnigan and Rob Hogendoorn on the rise and fall of Sogyal Rinpoche

Pinochet and the Dalai-Lama, compassion or politics?

Meeting between Pinochet and President Bush I (between 1990-1994) 

In a Twitter exchange with Tenzin Peljor (Diffi.Cult), I was asked by him to check the background on the Dalai-Lama's appeal to the British government to free Pinochet in 1999. So I did. Once more the format of Twitter doesn't suite what I think is necessary to answer properly.


The background


Pinochet seized power in Chile (11/09/1973) in a coup d'état, with the support of the U.S., overthrowing the democratically elected Marxist Salvador Allende. Pinochet installed a military junta that lasted until 1990.
Pinochet persecuted leftists, socialists, and political critics, resulting in the executions of from 1,200 to 3,200 people, the internment of as many as 80,000 people, and the torture of tens of thousands.” source
In October 1998 Pinochet was arrested in London on "charges of genocide and terrorism that include murder".
After having been placed under house arrest on the grounds of the Wentworth Club in Britain in October 1998 and initiating a judicial and public relations battle, the latter run by Thatcherite political operative Patrick Robertson, he was released in March 2000 on medical grounds by the Home Secretary Jack Straw without facing trial. Straw had overruled a House of Lords decision to extradite Pinochet to face trial in Spain.” source
Pinochet (under house arrest in the UK) visiting Thatcher in her home. Thatcher : "Thank you, thank you very much !"

Pinochet received strong support from Margareth Thatcher (Speech on Pinochet at the Conservative Party Conference), who also received Pinochet and his wife in her own home (26/03/1999), in spite of Pinochet's house arrest.
"President Pinochet was this country's staunch, true friend in our time of need when Argentina seized the Falkland Islands. I know - I was Prime Minister at the time. On President Pinochet's express instructions, and at great risk, Chile provided enormously valuable assistance."
"But how did the authorities, under this Labour Government, choose to repay it? I will tell you. By collaborating in Senator Pinochet's judicial kidnap." (Speech
The Dalai-Lama and President Bush I at the White House (1991)

Pinochet also received strong support from Former President George Bush, who wrote a letter, or had it written by someone else[1], “to former British Chancellor Lord Lamont, calling the accusation against Pinochet a travesty against justice. Britain, Bush concluded, should allow Pinochet to return to Chile.”

In April 1999, the Dalaï-lama was on a 5-day visit to Chile. He was invited there by the Tibet Foundation of Chile. The visit provoked reactions from the Chinese embassy[2].
He insisted on the peaceful nature of Tibet’s demands for independence. “We are neighbors (with China) and it is essential not to maintain hatred. Every year I look for how to find something in the spirit of reconciliation,” he added.

This same spirit of reconciliation was shown by the Dalai Lama regarding former dictator Pinochet, 83, arrested since October 1998 in London and who will possibly face from Thursday an extradition trial to Spain.

Tenzin Giatso, the name of the 14th Dalai Lama, said that revenge is not the right path and stressed the value of forgiveness for the human rights violations committed in Chile during the dictatorship.

“But that does not mean forgetting what happened. We must be clear about the bad things that happened and then, in a spirit of reconciliation, be ready to forgive”.

Pinochet, he continued, as “a man of advanced age, pardon can be applied to him”, but “as we are all equal before the law, we must respect any decision of justice”, he concluded
.”
(Source translated with http://www.DeepL.com/Translator (free version))
What can be seen as a conjoint action (Margaret Thatcher, George Bush and the Peace Nobel Prize winner the Dalaï-lama) to plead for Pinochet to be released from prosecution was successful, in spite of the House of Lords decision to extradite Pinochet to face trial in Spain, which was overruled by Home Secretary Jack Straw.

The polemic


I already wrote about this polemic in my blog Diffi.Cult. Guest writer Joanne Clark[3] assessed the article Not The Tibetan Way’: The Dalai Lamas Realpolitik Concerning Abusive Teachers, by Stuart Lachs & Rob Hogendoorn. Clark takes the authors to task for not having treated the Dalai-Lama in “the context of his own words, his place in history, and culture, geography (how does he police lamas who act in a different country?) and his commitments, mainly spiritual, in life”. According to the authors of Diffi.Cult, when the Dalaï-lama pleaded for Pinochet’s release, he did so merely out of compassion for an old sick man (albeit a dictator). Not out of any other motivation than compassion.

Note 120 of the assessed article gives a background for its statement “The Dalai Lama is very much a political player”, which is also applied to the Dalaï-lama’s support of Pinochet 
No doubt, much pressure was put on the Dalai Lama to get him to stand for Pinochet’s defense against extradition.” Apart from the Dalaï-lama’s declaration quoted above, the assessed article reads: ”In April 1999, the Dalai Lama appealed to the British government to free Pinochet, who was arrested while visiting England.’ Vivas, Maxime. (2012). The Untouchable. In Behind the Smile: The Hidden Side of the Dalai Lama (Kindle ed.). San Francisco: Long River Press; Sifflet, Patrice. (2006).”
My take

My take on this. The context being the cold war and the opposition between communism and capitalism. When Tibet is invaded by China in 1959 (gradually from 1951 onward), the support for the Dalaï-lama and the Tibetan people in the West was before all motivated by humanitarian reasons, but anti-communism or anti-Marxism certainly played a part as well. The very traditional and then still theocratic Tibet fighting against Chinese communism was a federating factor for anti-Marxists all over the world. Liberals, conservatives, extreme right-wing politicians, dictators. At the same time the Dalaï-lama’s Neobuddhist values (peace, compassion, altruism, secular ethics, ...) spoke more to progressive people, to which he still gives nudges every now and then (“I am actually a Marxist you know”).

Pastiche on Célébration 80th anniversary with George W.Bush in Texas

If one looks at the Dalaï-lama’s actions and at the personalities and politicians he displays himself with, then the balance is clearly on the anti-Marxist side. He probably has no choice, being most strongly supported by the likes of the Bushes, Thatcher etc. In exchange for that support, he may sometimes be ready to support one of their former strategic allies (e.g. Pinochet). Let’s look at who else the Dalaï-lama supported in similar ways? Does Julian Assange (militantly fighting for peace by denouncing war acts, currently in prison, not in house-arrest) stand a chance for the Dalaï-lama to appeal to the British government on his behalf? Or other more “Marxist” or progressive activists fighting for right Neobuddhist-compatible causes in trouble? I am not aware of it. But maybe there have been some. Probably for political or strategic reasons the Dalaï-lama and the Tibetan government in exile don’t have the choice to pick other friends than on the right-wing anti-Marxist spectrum, and can't support anti-capitalist causes and policies, because they would lose their "friendship", and so they are stuck with the friends and allies they have.

Or maybe it’s their natural tendency, coming from former theocratic rule, and having been invaded and abused as a people by Chinese communists and therefore understandably being allergic to anything Marxist. Whatever is the case, for the moment the balance of actions is clearly on the right side, for better or for worse. 

Tenpel wrote on Twitter:
"It appears to me that my first impression of the article, all types of sources that put the Dalai Lama in a bad light, are used without questioning the sources or to investigate the context, is just true."
I answered :
1/2 I disagree with Tenpel’s and Joanne Clark’s assessment of the article, but on this very point what about all types of sources that put the Dalai Lama in a good light? Aren’t they often used without questioning the sources and investigating the context?
The Dalaï-lama can’t complain about the way he has been treated in the Western media ever since the West became aware of him and his cause. Have all those positive publications that put him in a good light been justified? If every now and then his more doubtful or even negative aspects, personal or in the exercise of his functions, are questioned, is that a problem? Why would you require fairness from critical publications and not from the standard praises of his wisdom? And why specifically in the case of the thoroughly researched article by Rob Hogendoorn and Stuart Lachs, where everyone can check the sources that are mentioned, and form their own opinion?

MàJ 05012022 Two Views Of The Dalai Lama: High-level Bodhisattva And Transactional Political Figure, Stuart Lachs
***

[1]On April 26 Michael Dannenaher, Bush's chief of staff, told us that he, not Bush, had written said letter and that he would not provide a copy.” source

[2]However, as happens in every trip of the Dalai Lama, his visit to Santiago provoked reactions from the Chinese embassy, which protested against the decision of President Eduardo Frei to receive him in a special audience in the La Moneda palace.

The Chilean Foreign Ministry clarified last week that the presidential decision does not imply a government pronouncement on the emancipation demands of Tibet, whose 100,000 refugees claim that their country is militarily occupied by China.

The Foreign Ministry also said that Frei’s interview with the Dalai Lama is not an “unfriendly gesture” toward the Beijing government, with which Chile maintains “the best relations.”

“That always happens,” the Buddhist leader commented at a press conference this Sunday, regarding Chinese diplomatic protests over his visit
.” Source

[3] A disheartening article: stuart lachs & rob hogendoorn on the Dalai Lama, 04/10/2021.

jeudi 28 octobre 2021

A quoi rêve un bouddhiste ?

Couronnement du roi thai Rama II

Puissé-je devenir un sauveur pour ceux qui n’en ont pas,
Un guide pour ceux qui s’engagent sur le chemin,
Une barque, un navire, un pont,
Pour ceux qui désirent traverser [la grande rivière].

Que je devienne un parc pour qui cherche un parc,
Une lumière pour qui désire une lumière,
Un lit pour qui cherche un lieu de repos ;
Pour les êtres qui désirent un serviteur, que je devienne le serviteur de tous
.”

Ainsi Shantideva.

Les jatakas et les hagiographies des grands personnages bouddhistes devraient alors être pleins d’histoires de barques, ponts, parcs, lits et serviteurs, et les fidèles bouddhistes faire le culte de ces bodhisattvas-barques, -lits et -serviteurs.

Mais c’est plutôt le contraire, les barques, lits et serviteurs ont toujours été au service des clercs bouddhistes, et les bodhisattvas choisissent de naître dans de bonnes familles (descendance royale de préférence) tant qu’à faire, et en tant que mâles de surcroît. Pourtant, ils connaissent par coeur ces vers de Shantideva, qu’ils récitent tous les jours. Les prières à souhaits ne se réaliseraient-elles pas alors ?

Il suffit de lire les hagiographies des plus grands bouddhistes, ou des bouddhistes les plus illustres, ce qui revient au même, à commencer par le Bouddha. S’il n’avait pas été un fils de roi, s’il n’avait pas été l’égal des dieux, puis même leur supérieur, mais une barque ou un serviteur, aurait-il pu avoir un culte à son nom ? Et ce culte porte évidemment la marque de la grandeur du fondateur, et de tous les grands bouddhistes après lui. Asaṅga et ceux qui le suivaient en étaient bien conscients. Seuls les bien-nés peuvent être des bodhisattvas, dignes de ce nom. Pour être respecté et écouté, disent-ils, il faut d’abord être respectable, et le monde ne respecte pas les lits et les serviteurs.
J’ai donné ce corps (les agrégats impurs) à tous les êtres,
Pour qu’ils l’utilisent selon leur bon plaisir.
Même si les autres toujours me tuent, me critiquent,
me rouent de coups et tant d’autres choses ;
Qu’ils fassent ce que bon leur semble
.”
Écoute Shantideva, t’es bien gentil, mais on essaie de gérer une religion ici ! Les bouddhistes n’aspirent pas à devenir des barques et des serviteurs ! Il faut les faire rêver, il faut qu’ils puissent devenir des bodhisattvas comme sur les jolis icônes, des Bouddhas en corps de gloire, des tulkous, des clercs et des maîtres à leur tour. Des objets de dévotion et des champs de mérite, pas une barque !

Tu les a entendus quand ils parlent de la réincarnation, qui est leur rêve américain spirituel à eux, “The sky is the limit” ? Ils pensent avoir été untel ou untel, que des noms illustres, dans une existence précédente, et leurs ambitions pour les vies futures n’ont pas de limite. D’accord, si pour que ces ambitions se réalisent, il faut réciter parfois “que je devienne le serviteur de tous”, pourquoi pas, mais il n’est pas question que cela se réalise !

CT et Perks

Et une fois “réalisé” et revenu uniquement pour le bien de tous, quand il s'agit d’adopter “des apparences nirmanakaya à travers des modalités culturelles” ("pour offenser le politiquement correct") pourquoi ne pas choisir celles qui en mettent plein les yeux : aristocrate, chef des armées, magnat de pétrole, homme d’affaires réussi, maître de l’univers (sakyong) ou autre mâle alpha. Et du point de vue de l’accumulation de mérite, servir les êtres au mieux, n’est ce pas leur donner loccasion de servir un grand bodhisattva, en les utilisant selon votre bon plaisir ? Ah Shantideva, tu n’es vraiment pas un meneur d'homme !

Ce n’est pas en leur proposant de devenir un serviteur qu’ils te suivront. C’est en les attrapant par leurs ambitions non-avouées que tu feras d’eux tes serviteurs, parole de Trungpa ! Evidemment, dans une autre vie ils guerroieront à tes côtés dans les remakes des batailles de Ling Gésar ou de Shambala, mais en attendant ils aspirent d’abord à devenir des maîtres à l’image de leur maître, le Sakyong, et de permettre à d’autres de leur servir, pour qu’eux aussi puissent un jour rejoindre le rang des maîtres. C’est cette ambition là qui est le moteur derrière leurs ambitions bouddhistes et de leur croyance en le karma, c’est cela qu'il faut leur mettre devant les yeux.

Une barque, un lit, … Mais un puits de pétrole pourquoi pas ?


DJKR au Bhoutan, Puissè-je devenir une chaise à porteurs

mardi 26 octobre 2021

Sur le génie de Trungpa et ses fidèles admirateurs

L'équipe Gold Lake à l'oeuvre (Chogyam Trungpa et Major John Riley Perks en uniforme)

Maintenant que de plus en plus d’information sur Chögyam Trungpa et son Vajradhatu/Shambala émerge, je me pose la question de ce qui peut bien motiver ceux, parmi les clercs bouddhistes tibétains ou les occidentaux convertis, qui maintiennent que CT était un grand maître, même si son comportement était condamnable de plusieurs points de vue. Ils semblent vouloir séparer l'œuvre et l’artiste. Pour ces deux catégories d’admirateurs, certains clercs bouddhistes tibétains[1], principalement Nyingma, et les convertis occidentaux, disciples de la lignée de Trungpa, ou disciples affiliés à des lignées d’instructions révélées de type “terma” (tib. gter ma), “l’artiste” était un Révélateur (tib. gter ston) et ses Révélations (termas) constituaient son œuvre. Le Révélateur est alors considéré comme le simple instrument d’une Révélation. Ce qui importe de ce point de vue de l'œuvre est la Révélation et la transmission de celle-ci.

CT et Dilgo KR

Dilgo Khyentsé Rinpoché avait de grands espoirs en Trungpa (couronnement du Sakyong), et il croyait dur comme fer en sa capacité révélatrice. D’autres témoignages de disciples de Trungpa suggèrent que Karmapa XVI n'était pas non plus insensible au génie de Trungpa[2]. L’admiration des clercs tibétains se rapportait aussi bien à son potentiel de Révélateur qu’à sa capacité de développer un bouddhisme ésotérique avec un idéologie théocratique sur le sol américain.

Trungpa en Maître-Roi (Sakyong)

Pour les convertis occidentaux, ceux (Shambaliens) qui rêvaient d’une société éveillée théocratique, ont vu leur rêve s’effondrer avec les affaires de leur Sakyong (le fils de Trungpa) et son organisation Shambala. Les autres, pour qui Trungpa et ses révélations furent surtout une source d’inspiration, sont toujours attachés à son Oeuvre et son approche “esthétique”. Pour cette Oeuvre et son sens esthétique, ils considèrent Trungpa comme un génie spirituel. Un génie parfois reconnu comme étant pervers mais un génie néanmoins. Et comme son Oeuvre ne peut être efficace que si celui qui le transmet l’a “réalisé”, ils considèrent que, contrairement à un Sogyal Lakar, que Trungpa était un génie pervers “réalisé”. Il s'agit de sauver l'Oeuvre, afin de pouvoir continuer à l'utiliser. 
Chögyam Trungpa reçoit Le Soleil d'or du Grand Est durant le séminaire Vajrayana 1976, au Lac Louise, Wisconsin, deux ou trois jours après avoir reçu le trait de l'ashé noir, 25 octobre 1976. Le 15 janvier 1978, il reçoit La Lettre de l'ashé noir. Enfin, il reçoit La Lettre de la clef d'or qui exauce les désirs[3] [ci-après Clef d’or], le 5 octobre 1978. L'étude de ces trois terma constitue le cœur de la voie sacrée du guerrier, le deuxième cycle de l'Apprentissage Shambhala s'adresse donc aux étudiants ayant déjà une connaissance des principes de l'art du guerrier que nous avons présentés précédemment.” (Midal, Trungpa, page 222, note 40, mise en gras par moi)
Trungpa et son fils

C’est suite à l’enseignement de la Clef d’or, le 15 octobre 1978, quand il explique le “concept” “Yün” (tib. dbyun : l’essence de la richesse), que Trungpa suggère que maître et disciples se mettent à la quête de “l’essence de la richesse”, à la façon de la quête du graal ou comme l’aventure du Mont Analogue (Daumal). Et hop, un autre projet de matérialisme spirituel voit le jour.

Trungpa et Tom Bell au Texas (photo : Chronicleproject)

C’est quand-même étonnant quand on voit que le programme Vajradhatu/Shambala, qui commence avec un apprentissage du “hīnayāna”, mahāyāna et vajrayāna, la pratique assise de la méditation (“sitting”) jusqu’à la pratique de sādhana de divinités indo-tibétaines, la voie du guerrier, et puis des pratiques purement tibétaines (Werma etc.), se traduit dans la pratique par des entreprises comme le projet Gold Lake Oil, où l’on va chercher du pétrole et du gaz en faisant des forages avec l’aide des génies telluriques tibétaines “Dralha, Nyen et Lu” (tib. lha, gnyen, klu) …

Les directeurs du projet Gold Lake au Texas
CT Mukpo, Craig Thompson, et Tom Bell

Lorsque l’équipe du Lac d’Or commence à forer, sous la direction spirituelle de Trungpa, ils agitent des drapeaux blancs tout en récitant le texte ci-dessous[4], où l’on invite les génies tibétains à permettre le forage et de faire émerger un “Lac d’Or” (de pétrole). L’offrande de fumée (tib. bsang) produite par l’incinération de branches de genévrier, était censée créer un passage de fumée, par lequel les génies pouvaient descendre pour faire émerger le “Lac d’Or”. Le riz nécessaire au rituel était dûment consacré et fourni “spécialement à cet effet” par Karmapa XVI. Finalement, le projet s’est soldé sur un échec[5], mais certains membres du groupe ont continué dans les affaires et y ont réussi. Trungpa leur avait sans doute montré leur véritable vocation...[6]

Le Rituel (© 2007 Diana J. Mukpo)

Faut-il en rire ou pleurer ? Faut-il dans cette affaire se focaliser sur le possible appât du gain (“des crises de kleśa” comme écrit Tom Bell), la pensée magique puérile de toutes les parties concernées, l’importance considérable que semblent prendre les génies tibétains dans le “bouddhisme” tibétain, y compris chez des maîtres bouddhistes de premier degré ? C’est en cela que consiste le génie révélateur de Trungpa ? Tout ça pour ça ?!

Staff of Kalapa Court, Mapleton Avenue, 1976

Il y a aussi des convertis occidentaux (et des maîtres tibétains) qui aiment Trungpa pour son goût esthétique. Plutôt un goût de luxe très conservateur Upstairs Downstairs à la “Downton Abbey”. 

"Dorje Dra’dül du clan Mukpo Dong" en kilt

Il y a l’esthétique du colonialiste, le look de l’armée, les costards 3-pièces du businessman, un esthétique japonisant, etc. L’école Aro-gter (Révélation de la femme visionnaire Aro Lingma 1886 – 1923) appelle cette approche esthétique “la Manifestation de l’apparence nirmanakaya à travers des modalités culturelles” (“Manifesting nirmanakaya appearance through cultural modalities”).

Le détenteur actuel de cette lignée, Ngak'chang Rinpoché commente :
Il est peu compris dans le Vajrayana que la dimension du nirmanakaya est une dimension dans laquelle une expression infinie devient possible en termes de communication compatissante. Il n'y a pas d'aspect du monde phénoménal qui ne puisse être utilisé par les maîtres éclairés pour assurer la transmission. Le maître vajra peut apparaître sous de nombreuses formes différentes : en tant que moine ou nonne ; en tant que ngakpa ou ngakma ; en tant que chasseur, comme dans le cas de DoKhyentsé Yeshé Dorje ; ou en tant que guerrier illuminé comme dans le cas de Ling Gésar, et ici - Chögyam Trungpa Rinpoché. L'apparence militaire ou martiale est une glorieuse offense au politiquement correct[7] et, en tant que telle, pose un fabuleux défi à notre appréciation restreinte du Dharma. Pour comprendre authentiquement le Vajrayana, nous devons comprendre que porter le corps des visions, en ce qui concerne le yidam, est une pratique qui s'étend au gar'cham ou à la danse tantrique - mais la danse tantrique n'est qu'une des nombreuses modalités possibles.”[8]
Il est très possible que “la glorieuse offense au politiquement correct” sort de ce simple cadre esthétique, et cherche à “glorieusement” offenser le “politiquement correct” par tous les moyens (y compris le rôle detricksterque Trungpa admirait chez Gurdjieff), rejoignant ainsi la “folle sagesse”, autre création du génie de Chögyam Trungpa. Insulter lego, la multigamie et la torture des animaux sont d’autres instruments pour offenser le politiquement correct. Il en va de même pour les diverses addictions de Trungpa, le tabac, l’alcool, les drogues, le sexe. L’alcool, parmi d’autres substances, est d’ailleurs un ingrédient facilitateur de la révélation.
Selon certains de ses étudiants, [Trungpa] buvait y compris pendant sa période au Bhoutan. Il raconte lui-même sa retraite et comment le Trésor vint à lui de façon spontanée[9].” Blog Transmissions célestes.
Partiellement à cause de ce lien entre Révélation, Transmission et lalcool, certains convertis occidentaux, et notamment des anciens disciples de Trungpa ont imité leur maître, ou des poètes (Beat) à la recherche d’un dérèglement des sens, qui avaient trouvé un frère, ou un père, en Trungpa[10].

Ginsberg et Trungpa (photo : Dangerous Minds)

Quel est donc le charme de Trungpa ? Pour les clercs bouddhistes tibétains, il est surtout un modèle de réussite, une valeur esthétique sûre, un théocrate moderne. Ses disciples Shambaliens doivent plus ou moins se retrouver dans les mêmes qualités. Les autres convertis occidentaux, plutôt de tendance gnostique/alchimiste, s’intéressent davantage au Révélateur et à ses Révélations qui donnent la part belle aux génies telluriques de terroir, les cinq éléments etc. Chercher (et trouver) un Lac d’Or, le Graal ou la Pierre des sages ne devait pas les déplaire. Le génie de Trungpa leur en a donné les moyens 1.0.

Discussion poursuivie sur Facebook (Hridayartha)  

MàJ02112021 “On another trip to the United States, Trungpa Rinpoche came with hundreds of students to welcome Dilgo Khyentse in the airport near Boulder; the cars all carried flags right and left. Rinpoche stayed at Marpa House and gave a few empowerments and reading transmissions. The main ceremony during his stay was the enthronement ofTrungpa Rinpoche as King of Shambhala, which was done with great pomp and grandeur at Dorje Dzong. Trungpa in return gave Dilgo Khyentse the rank and emblems of a general of Shambhala. Each of his attendants also got an official rank in the Shambhala army. When we returned to his room, Khyentse Rinpoche said, 'Attach my emblem to the cloth wrapper of my daily chant book:' After a few days it disappeared.”

Brilliant Moon - The Autobiography of Dilgo Khyentse by Dilgo Khyentse, Ani Jinba etc. p.218

***

[1] De nombreux souvenirs élogieux de la part de maîtres tibétains sur le site Chronicleproject. Voir aussi Réussir (siddhi) 18 septembre 2017 et La Trungpamanie fait de la résistance 26 août 2021.

[2]Rinpoche composed a chant for this occasion. [See liturgy below.] The rice we put in the hole was given to Rinpoche by His Holiness the Sixteenth Karmapa for this express purpose.” Gold Lake Oil

[3]Letter of the Golden Key Which Fulfills Desire”.

[4] Le texte du rituel composé par CT

INVOKING THE DRALHA AND LHA, NYEN AND LU AS THE DRILL BIT ENTERS THE EARTH, WAVE THE WHITE FLAG AND SAY:

"I Invite the great Lha, Kanwa Zangpo,
the great Nyen, Magyel Ponra,
The great Lu, Tsugna Rinchen;
Please come and bestow your blessings.*

put juniper on the coals and let it burn until it is producing a good column of smoke and say:

"In the name of the Dralha
And the lord of Enriching Presence
I invoke you on this auspicious occasion.
May Tsugna Rinchen arise
So that Magyel Ponra can receive her.
May Magyel Ponra realize the hospitality of Kanwa Zangpo.
Let there be a Gold Lake

OM MASI MANI RATKA MAHADAKA SVABHAVA A HUM" (mantra 21 times)(Om Jewel, Jewel, Jewel, Great Generosity - Its Nature A Hum)

"Lha, Nyen, Lu please work with our flags
Work with our machinery
Work with our earth
I rejoice in your presence

SAHAYA TISTHAN

(the smoke is a pathway for the Lha and Dralha)

[5]At the final meeting of Gold Lake Oil, held in December of 1982, Mr. Mukpo said, “Well, I still have faith that something will happen in the future, but maybe our ambition killed the whole thing.” He only said it once, and he said it reflectively.” Gold Lake Oil

[6]And it has. Many members of our community, including some of the original Gold Lake owners and employees, have gone on to be successful in the world of business—successful in terms of the bottom line, and successful by less conventional criteria as well. Some have even found oil and gas by applying what they learned from Mr. Mukpo.”

[7]Wrathful imagery describes a high level of energy. Shock was the major theme of Vajrayana in ancient India, where Vajrayana was juxtaposed against the dominant Brahmin culture. Tantrikas had low caste sexual consorts, they gambled, drank alcohol, and—horror of horrors—they were not vegetarian. This was horrendous to a Brahmin. It is still horrendous to ‘Western Buddhist’ types who tend to make a codified moral stance of vegetarianism. It may be useful to consider that Vajrayana is not influenced by concepts of political correctness. Perhaps today we think of swords as romantic, and inoffensive, but it is important to understand that Vajrayana is not merely a methodology from the ancient world. It might be offensive to the politically correct to encounter a wrathful yidam replete with a machine gun, chain-saw, and the freshly flayed skin of an infant child – but, somehow, even though that might not be considered ‘spiritual’, it might point to something far kinder in essence than the tightly structured ‘goodness’ which cannot tolerate human diversity. So yes – Vajrayana is intrinsically shocking, because we need to be shocked into contact with our natural kindness.” The Bristol Talks, Ngakchang Rinpoche on Vajrayana topics.

[8] “Ngak’chang Rinpoche comments:

"It is little understood with regard to Vajrayana that the dimension of nirmanakaya is one in which infinite expression becomes feasible in terms of compassionate communication. There is no aspect of the phenomenal world which cannot be employed by enlightened masters in terms of providing transmission. The vajra master can appear in many different guises: as monk or nun; as ngakpa or ngakma; as a hunter, as in the case of DoKhyentsé Yeshé Dorje; or as an enlightened warrior as in the case of Ling Gésar, and here – Chögyam Trungpa Rinpoche. Military or martial appearance is a glorious offense to the politically correct and, as such, poses a fabulous challenge to our constricted appreciation of Dharma. To authentically comprehend Vajrayana we need to understand that wearing the body of visions, with regard to the yidam, is a practice which expands into gar’cham or Tantric dance – but Tantric dance is only one of many possible modalities.” Venerable Chögyam Trungpa Rinpoche, Manifesting nirmanakaya appearance through cultural modalities

[9] « The first line of the sadhana came into my head about five days before I wrote the sadhana itself. The taking of refuge at the beginning kept coming back to my mind with a ringing sound: “Earth, water, fire and all the elements…” That passage began to come through. I decided to write it down; it took me altogether about five hours to write the whole thing. During the writing of the sadhana, I didn’t particularly have to think of the next line or what to say about the whole thing; everything just came through very simply and very naturally. I felt as if I had already memorized the whole thing. If you are in such a situation, you can’t manufacture something, but if the inspiration comes to you, you can record it.

That difference between spontaneous creation and something manufactured is connected with a little poem that I composed after the sadhana was already written. The spontaneousness was gone, but I thought that I had to say thank you. » Historical Comments on The Sadhana of Mahamudra

[10]So we formed the Kerouac School and his idea in asking Anne Waldman, myself and Diane di Prima to work on it, in the presence of..John Cage, was at this conference after the first summer jamboree, sort of a smorgasbord of many people including Ram Dass and Gregory Bateson and Swami Mutktananada who visited. His (Trungpa’s) idea was that the Buddhists should be sophisticated in mouth and learn golden tongue in poetry in order to be good practitioners of dharma and good bodhisattvas in turning the wheel of dharma, that it would…(in his tradition, in his lineage, from Milarepa on, the teachers were all poets). And, on the other hand, the trade-off for the poets would be to learn some meditative sanity to avoid suicide strung-out alcoholic creephood – the Western idea of bohemian fuck-up among the poets, the maudit, from Rimbaud, Villon through Kerouac and Cassady who died of excess. So it was a very interesting deal, and a very interesting rationale, and a very successful one. So I think now [1993] Naropa is one of the strongest centers of poetry in AmericaThe Allan Ginsberg Project, Buddhism and The Beats (Ginsberg 1993 – 2 – Trungpa Rinpoche)