Affichage des articles dont le libellé est Khecara. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Khecara. Afficher tous les articles

vendredi 29 septembre 2023

Rapide survol de l'évolution du transfert de "la conscience"

Khecarī blanche (Shangpa XVIIIème) HA88814 

Tout comme les hagiographies, les pratiques évoluent avec le temps, et peuvent s’enrichir et, en théorie, s’appauvrir, mais généralement elles s'enrichissent, et l’enrichissement des détails peut parfois être indicatif d’un ordre chronologique. Nous ne devrions pas lire les textes plus anciens avec une “connaissance” enrichie à force d’ajout de détails, de liens, d’informations hagiographiques, de commentaires, … Simplement traduire ce qui semble écrit, sans le (sur)interpréter par des données plus tardives. La pratique du transfert de “la conscience” (‘pho ba) se base clairement sur la technique pneumatique de Virūpa[1], qui peut être faite sans se visualiser en une divinité (“autoconsécration”)[2], donc en théorie sans engagement yogatantrique, ce qui correspondrait à son origine bauddha-nātha-śaiva partagée. Si cette technique existait avant “Virūpa”[3] est une autre question, mais on constate son essor pendant la renaissance tibétaine et au Tibet, les traditions gsar-ma la faisant remonter à Virūpa, la tradition rnying-ma (néo-ancienne) à Padmasambhava, par le biais de diverses révélations (gter ma).

Le transfert (‘pho ba) peut prendre différentes formes, mais elle se base toujours sur la technique pneumatique de Virūpa. La “conscience” est expulsée à travers le canal médian par la force pneumatique concentrée au niveau du nombril. La “conscience” chez Virūpa est imaginée comme une alliance du pneuma, du bindu[4], de la pensée[5], (et ultérieurement du mantra[6]), censé libérer le yogi.

On trouve la forme du transfert fondamental dans p.e. le Transfert “Lucarne de gnose” ('pho ba ye shes skar khung[7]), qui fait partie du patrimoine spirituel Shangpa. Le dispositif pneumatique au nombril de Virūpa sert de lancement de “la conscience”, ici directement dans l’espace, où elle devient vacuité. Il est précisé dans ce court texte que c’est cela “s’éveiller dans l’état intermédiaire”, comme ce fut le cas d’Advayavajra selon Tārānātha[8]. La Lucarne utilise néanmoins la visualisation de soi (corps mental) en un corps divin, donc l’autoconsécration[9], et tout ce que cela peut impliquer[10]. Il s’agit d’abord de s’entraîner dans le transfert avant de passer à l’acte, et il faut donc que la “conscience” “revienne” ou “redescende” dans le corps du yogi. On peut imaginer qu’au moment crucial du trépas, il n’y aura plus de retour.

Khecara, détail, HA11162

Pour un transfert “saṃbhogakāya”, il faut que le corps mental puisse “s’envoler” vers des paradis ou des khecara (mkha’ spyod), en quittant l'ancien cocon. Une première partie peut consister en le transfert dans la khecarī, qui transporte le yogi ensuite vers le khecara, d’un point de vue mythologique. Ce corps mental est idéalement celui d’une ḍākinī (mkha’ ‘gro ma), d'une yoginī (rnal 'byor ma) ou d’une khecarī (mkha’ spyod ma), capable de l’ascension céleste. Là aussi, la pratique peut être assez simple, comme p.e. dans le “Sādhana de Vajrayoginī[11] attribué à Atiśa. La Vajrayoginī (blanche) d’Atiśa devient peut-être la khecarī blanche (couleur lunaire) dans la lignée Shangpa ?

Brahmane/Siddha Peldzin/Śrīdhara expert en Yamāntaka 

L’élément divin (corps mental) peut prendre plus ou moins d’ampleur. Généralement, on peut dire que plus on avance dans le temps, et plus il prend de l’ampleur. Il y a comme une époque romane, gothique, baroque, baroque flamboyante, etc. dans l'esthétique des pratiques tibétaines. Nous avions vu que dans le transfert décrit dans le Rang gi sems gong du 'pho ba’i man ngag byin rlabs dang bcas pa de Brahmane Peldzin (grub chen dpal 'dzin), l’attitude du yogi sur le point de transmigrer est essentielle.
Le futur transmigrant renonce à tout, et fait offrande et don, à la divinité, au guru, aux six classes d’êtres. Il doit s’abstenir de tout attachement au corps. Il remémore sans cesse la divinité, et ne pense qu’au guru.” (extrait du texte cité)
Il doit s’abstenir de tout attachement au corps (le but ultime de la pratique), et faire des dons et offrandes. Cela peut être transposé en une pratique de diverses façons. Il n’est pas facile de déterminer l’évolution exacte du transfert rattaché à la technique de Virūpa, à cause des nombreux apocryphes, pseudépigraphes, révélations (gter ma), hagiographies, compilations et systématisations. J’ai cependant fait une découverte assez intéressante, comme on le verra.

Parmi les révélations de la tradition des gter ma, attribuées in fine à Padmasambhava, il y a une pratique de transfert ('Da' ka 'chi brod 'pho ba'i gdams pa, contenu dans le bLa ma dgongs 'dus) qui utilise la technique pneumatique de Virūpa (gsar-ma), mais en prenant pour cible des divinités (rnying-ma) tel Amitābha et Amitayus et leurs Terres pures. Le tertön qui aurait découvert ce transfert dans le cadre de la révélation du Bla ma dgongs 'dus pa’i skor s’appellait Nyida Sangyé (Nyi zla Sangs rgyas 1340–1396)[12]. Le titre du transfert ( 'Da' ka 'chi brod 'pho ba'i gdams pa est rendu en anglais par “The Way of Dying with Joy” (Ching Hsuan Mei, qui l’a traduit intégralement en anglais) ou “Dying without regrets” (Georgios T. Halkias). Nyida Sangyé aurait transmis ses révélations entre autres au Karmapa IV, et au Drikhung Chos kyi rgyal po (1335-1407)[13]. Son transfert a pu servir de modèle à la révélation du “Standing Blade of Grass” (‘jag ‘tshugs ma) de Bodong Rechen Peljor.

Le transfert fait de Rechen Peljor appartient au patrimoine Drikung, et est enseigné actuellement comme le Great Drikung Phowa Chenmo Practice. Le supercompilateur Jamgön Kongtrul (XIXème) l'avait intégré dans son Trésor des instructions (gDams ngag mdzod DNZ, vol. 17 Instructions diverse) sous le titre Ras chen dpal 'byor bzang po nas brgyud pa'i 'pho ba'i lo rgyus gdams ngag dang bcas pa. Le tertön Rechen Peljor semble avoir pour fonction d’apporter à la lignée (Drikhung dans ce cas) le transfert qui lui manquait. Ching Hsuan Mei en présente un résumé dans sa thèse[14]. Ce transfert (“Standing blade of grass”) aurait été le premier à prendre pour cible la Terre pure de Sukhāvatī[15]. Mais on pourrait dire la même chose du transfert révélé par Nyida Sangyé[16]. Ces deux transferts font remonter la lignée du transfert à Amitābha et Padmasambhava. Ainsi, dès le XIVème siècle, le transfert n’est plus dirigé vers une Terre pure quelconque, ou un khecara, mais vers Amitābha et sa Terre pure Sukhāvatī. Les premiers détenteurs de la lignée Shangpa avaient pour destination finale la Terre pure d’Akṣobha dans l’Est, Abhirati[17], ou sinon le khecara.

Avec l’activité de Karma Chagmé (Chags med Rāgāsya 1613–1678) et son jeune acolyte-tertön Mingyur Dorjé (gNam chos mi ’gyur rdo rje 1645–1667)[18], le lien entre les lignées Nyingma et Kagyu est renforcé, notamment, pour ce qui nous concerne ici, par les pratiques d’ascension céleste avant et après la mort, y compris le transfert de la conscience, avec Padmasambhava comme source initiale, et Sukhāvatī comme destination finale.

Machig Labdrön, Alchi Tsatsapuri, Rob Linrothe

La façon la plus baroque de faire “l’ascension céleste” est celle associée à la pratique d’un sacrifice du corps (lus sbyin) avec des détails lugubres. Il s’agit de “L’instruction du transfert infaillible vers le Khecara (Chug med mkha' spyod 'pho ba’i gdams ngag)” (anonyme[19]) ci-dessous, avec une khecarī tranchant la tête du yogi (sans doute) et transformant le haut du corps de celui-ci en nectar d'immortalité. Rappelons-nous que le détachement du corps était un facteur essentiel pour réussir l’ascension céleste. L’objectif de ce transfert n’a rien à envier à la tradition Gcod yul de Machig Labdrön[20], qu’il pourrait par ailleurs bien précéder.

Pour revenir sur Bodong Rechen Peljor (XVème)[21], qui aurait été un disciple de Bodong Phyogs las rnam rgyal (1376-1451), il y a deux textes qui lui sont attribués dans ce cadre, une Histoire de la transmission du transfert de la khecarī ('Pho ba mkha' spyod ma’i los rgyus) et le transfert appelé ‘Pho ba 'jag tshug(s) ma[22], “Standing Blade of Grass”. Ces deux textes ont été intégrés dans le gDams ngag mdzod par Jamgön Kongtrul au XIXème siècle. La partie hagiographique (lo rgyus) mentionne que Réchen Peljor aurait reçu le Khecara infaillible de Niguma, mais c’est un tout autre texte (‘Jag tshugs ma) qui est produit comme sa révélation. L’histoire raconte aussi que tout comme dans le cas de Marpa, Khyungpo Neljor n’aurait pas reçu toutes les instructions (des six yogas), et devait revoir Niguma pour recevoir celles concernant le transfert. Ce n’aurait plus été possible dans l’existence actuelle de Khyungpo, lui raconte Niguma dans l'Histoire, mais il reviendrait comme un de ses arrière-disciples Shangpa (à savoir Ras chen dpal 'byor bzang po), et les recevrait au moment opportun… Les hagiographes ne sont jamais à court d’idées et n’ont jamais de problèmes, seulement des solutions… Rechen Peljor aurait alors reçu de Niguma le Khecara infaillible (Chug med mkha' spyod 'pho ba’i gdams ngag), un texte assez “baroque” relativement court[23]. Il reçoit une pratique de Niguma, et en produit une toute autre pratique, à la fois gsar-ma et rnying-ma. Sa version est très différente et élaborée par rapport à “l’original” que l’on trouve dans le Ni gu'i dmigs phran rnams kyi byin rlabs byed tshul. On a l’impression que le nom de Niguma et de sa pratique étaient simplement utilisés pour justifier la révélation attribuée[24] à Rechen Peljor. Comme il est dit dans sa propre révélation, qui est précédée de sa propre histoire, afin d’inspirer confiance en elle :
Le dharma d’or de l’instruction du transfert “Le brin d'herbe dressé” (‘jag ‘tshugs ma) a deux parties :
L’histoire générale afin d’inspirer la confiance et
Les instructions auxquelles fait référence cette histoire
[25]
Sarasvatī bleu sapphire avec épée, Kanji, Christian Luczanits

Contrairement à la révélation de Nyida sangyé, dans la version “originale” (Collection Shangpa) du Khecara infaillible ('chug med mkha' spyod kyi 'pho ba), le yogi garde l’aspect de son corps ordinaire (tha mal gyi lus), avec les trois canaux, du sommet de la tête jusqu’au nombril, et au centre la syllabe A blanche. Au sommet de sa tête vient s'asseoir une khecarī les jambes écartées (bsgrad bzhugs), le sexe collé sur l’orifice de brahmā. Avec l’épée de sa main droite[26], la calotte crânienne (kapāla) [du yogi] est tranchée, qui atterrit devant lui, et à l’intérieur de laquelle est jetée la partie [haut] du corps à partir du sexe (gsang ba yan). [Ce haut du corps] se transforme en nectar, qui est offert à la khecarī. En éjectant Hik, la syllabe A s’envole du nombril, passe par le canal médian, entre par le sexe de la khecarī, et arrive à son Coeur. En disant Ka, [la syllabe A] redescend au nombril [du yogi]. La khecarī s’envole, et revient aussitôt. A partir du sommet de la tête, le canal médian se remplit de nectar, transformant [le corps] en l’essence de la syllabe A. La khecarī s’envole et part. Dédicace et souhaits[27]. Le texte semble se poursuivre avec un passage obscur[28], mais qui n’en fait pas partie, et qui semble associé avec le Guhyasamāja. Le Ni gu'i dmigs phran rnams kyi byin rlabs byed tshul est une simple compilation de textes, mis ensemble, sans aucune introduction, explication, etc.

Ma Kichakeswar Devī with sword
(and severed head in the other hand), Rob Linrothe

La version totalement réécrite par Rechen Peljor/Jamgön Kongtrul n’a plus rien à voir avec la version “originale” du Transfert infaillible. Dans ce dernier, il n’y a pas de description détaillée, mais la khecarī (couleur non spécifiée[29]) vient s’asseoir au sommet de la tête [du yogi], les jambes écartées (bsgrad bzhugs), et tient une épée dans sa main droite. En cela, elle fait penser à Chinnamastā/Trikāya-Vajrayoginī[30], mais elle est différente de la yoginī de ce nom dans le Sādhanamālā, et aussi le déroulement du rituel associé est très différent. La khecarī ne tient pas de kapāla, il n’y a que la calotte crânienne du yogi devant lui, et il n’y a pas de mention d’un khaṭvāṅga qu’elle tiendrait dans sa coude. Voici l' hommage qui ouvre l’Amṛtasiddhi de Virūpa :
Obeisance
At the navel is a white lotus. On top of that is the spotless orb of the scorching-rayed [sun]. In the middle of that, at the meeting point of the three paths, I worship her who is the sole essence of saṃsāra [and] the creator of the three worlds, who arises on the path of dharma, who, having three bodies, is lauded as Chinna-mastā, “She who has cut off [her] head”, whose form is knowledge, who removes the fear of death, who is a yoginī, bearing the seal of yoga
.” The Attainment of Immortality, Mallinson and Sźanto, p. 107.
Si cet hommage n’est pas un ajout ultérieur, le rôle de Chinnamastā en tant que “Déesse du Centre” (aussi appelée Sarasvatī) est minimal dans l’Amṛtasiddhi. L’hommage mentionne également un lotus blanc au nombril. Le corps du texte de l’Amṛtasiddhi ne va pas si loin. Mais dans les pratiques du transfert (‘pho ba) ultérieurs, le lotus au nombril, une yoginī ou khecarī, le guru visualisé comme la divinité du tantra correspondant, le yogi se visualisant comme une yoginī ou khecarī, joueront un rôle dans le transfert, avec ou sans sacrifice du corps (lus sbyin).
 
Créature hybride féminine Sānchi Stūpa, Rob Linrothe

***

[1](31.2) When the perfected yogi has gone out [of the body] by way of the aperture of Brahmā, then the breath there has the sound of a vinā and makes a tinkling noise.” James Mallinson and Szántó Péter-Dániel. The Amṛtasiddhi and Amṛtasiddhimūla, The Earliest Texts of the Hathayoga Tradition (Institut français de Pondichéry, 2022)

[2](8.9) He who tries to control Mind by means of self-empowering yoga (svādhiṣṭhanena yogena) deludedly chews a rock and, thirsty, drinks the sky.” Amṛtasiddhi

[3] On cite le Catuṣpīṭha-tantra, Vajraḍāka-tantra, Sampuṭa-tantra, … Idem pour le phénomène du suicide yoguique (utkrānti), mentionné dans un Vaiṣṇava Saṃhitā et dans quelques tantras śākta. Voir Ascending to Heaven after Death, Karma Chags med’s Commentary on Mind Transference, Georgios T. Halkias, ret_52_03 p.75, aussi note 12.

[4](7.6) Bindu is mastered by Breath; there is no other method of mastering Bindu. Bindu enters the very same state that Breath is in.
(7.16) Bindu is mastered in the same way that Breath is mastered. The state of the Mind is the same as the state of Bindu.
(7.17) When Breath moves then Bindu is said to move. He whose Bindu is moving has a restless Mind.
(7.19) As long as Breath is moving, Bindu is also unsteady. As long as Bindu is moving in the body Mind too is unsteady.
(7.20) When Bindu, Mind and Breath are constantly moving, people are born and die. True, true is this teaching!
(7.21) It is taught that Nada is Bindu is Mind. Nada and Bindu and Mind: in practice (prasādhane) the three are one.
(7.22) Although these three are present individually in the body, when Breath is mastered they are all sure to be mastered
.” Amṛtasiddhi

[5](30.1) Then when the wind pierces the knot of Rudra and is in all the [bodily] stations, Mind [becomes] brilliant (prabhāsvaramayam), adorned by the moment of fruition.
(30.2) Then Mind is uniform [and] without characteristics because it consists [only] of light, [and] the sound of a kettledrum arises in the abode of the Siddhas (siddhālaye)
.” Amṛtasiddhi

[6] La conscience, le bindu, etc., pouvant être représenté par une syllabe (mantra), p.e. A.

[7] Non attribué. 'Pho ba ye shes skar khung. Intégré dans le dPal ldan shangs pa bka' rgyud kyi gsang bsgrub skor gsum gyi byin rlabs bya tshul sogs, attribué à Sönam Chogyur (bSod nams mchog gyur XVème), un disciple de Bodong Paṇchen Chokle Namgyel.

na mo gu ru/
byang chub kyi sems sngon du song bas/ rang yi dam du bskyed pa'i lte bar chos 'byung gi nang du a dkar po gcig bsgom/ de nas 'og rlung 'then/ steng rlung mnan pas a de a wa d+hu tI'i nang nas yar song bas/ spyi bo na yar dkar rgyangs rgyangs song ba dang*/ stong pa nyid kyi ngang du song bar bsam mo// des ni bar dor sangs rgya bar 'gyur ro// 'pho ba ye shes skar khung rdzogs so/_/dge'o//

[8][Maitrīgupta] avait d'innombrables pouvoirs tel celui de s'émaner en divers corps. Mais à cause de son manque de confiance en Śavaripa à deux reprises, son corps physique n'a pas duré. Il est décédé à l'âge de 70 ans et il a réalisé la Mahāmudrā dans le Bardo.

Il n'avait pas la même renommée ni le même nombre de disciples que Nāropa, mais il avait un statut similaire et son altruisme était plus grand. Il avait de nombreux disciples en Inde, mais par la suite il y en avait pas beaucoup. C'est surtout dans le nord, au Népal et au Tibet, que son enseignement a connu son essor.” Extrait des Sept transmissions d’instructions (T. bka’ babs bdun ldan)
Blog 01/10/2010 Maitripa et ses disciples vus par Taranatha

[9] Tous ces termes impliquent l’engagement dans un tantra : self-initiation, self-entry, self-empowerment (bdag ‘jug), self-generation, self-visualization, visualizing oneself [as the deity] (bdag bskyed), self-empowerment (svādhiṣṭhāna, rang byin gyis brlab pa).

(8.9) He who tries to control Mind by means of self-empowering yoga (svādhiṣṭhanena yogena) deludedly chews a rock and, thirsty, drinks the sky.” Amṛtasiddhi

[10] La nécessité d’un maître qui confère le pouvoir de faire la pratique de telle divinité, et les engagements pris à cette occasion.

[11] Titre DNZ : Me tog mkha' spyod dkar mo'i sgrub thabs. Titre tibétain du texte : rDo rje rnal 'byor ma'i sgrub thabs, titre en sanskrit : Vajrayoginīsādhana.
“me tog mkha' spyod dkar mo' sgrub thabs bzhugs so// rgya gar skad du/ badz+ra yo gi nI sA d+ha naM// bod skad du// rdo rje rnal 'byor ma'i sgrub thabs/ rdo rje rnal 'byor ma la phyag 'tshal lo/

Vajrayoginī blanche, Saspol Cave 3, Rob Linrothe

ngal bas/ don med bdag la gnod pa'i 'jig rten gyi bya ba kun spangs nas// mkha' dbyings dag nas hrīḥ yig 'phro 'du las// gar gyi nyams ldan rdo rje gri gug bsnams// zla ba'i mdog 'dra 'od zer sna tshogs 'phro// sku gsung thugs kyi snying po mchod byas na/ pa'i sgo gsum gyi spyod pas// sgrib tshogs dag nas mkha' sems bskyed sngon du song nas/ las 'od dbyings mkha' spyod ma/ dgu dang / phyag g.yas g.yon thod pa/ dag tu 'gro// mkha' spyod dkar mo' sgrub thabs paN+Di ta dI paM kA ra shrI dz+nyA nas mar me mdzad ye shes dpal/_mdzad pa rdzogs so/”

[12] Accessoirement, le père de Karma Lingpa (cycle du bardo). Ce tertön semble avoir pour fonction d’incorporer la technique gsar-ma de Virūpa dans des instructions autrement rnying-ma. Le cycle d’instructions relevant a pour nom Tshe sgrub nyi zla kha sbyor (L’Union du soleil et de la lune) et fut découvert dans la tombe du roi Srong btsan sgam po...

[13] Ching Hsuan Mei, p. 121

[14]In the daily training, the yogi is taught to visualise his root lama appearing in the form of Vajrayoginī, the same imagery as described in Tārānātha’s work. The second step is to imagine a three legged hearth in front of the yogi. Vajrayoginī appears from the heart of the lama. She cuts her own skull off from the point between the eyes with a sword on her right hand, and then places the skull on top of that three legged hearth. That skull is quite big with white on the outside and red on the inside. Again, she cuts above her waist and then throws that which she cuts into that big skull. With the continuing recitation of the mantra Phat, five fleshes turn to be the nature of five kinds of nectar and wisdom. Thus the lama becomes very happy. Vajrayoginī dissolves into the heart of the lama. The following step is to visualise the avadhūti that is built from the point below the navel up to the crown, which connects with Vajrayoginī’s avadhūti. The nature of the yogi’s consciousness manifests as the syllable Āḥ appearing at the lower part of the avadhūti. By pronouncing E or Hi Kra, the syllable Āḥ flies up and conjoins with the syllable Hūṃ at the heart of the lama. As for the practical application, it differentiates between the method utilised for oneself and for others. The principle operation is the same as that which we have learned in the earlier chapter. I will not repeat it here. “ Ching Hsuan Mei

[15] Ascending to Heaven after Death, Karma Chags med’s Commentary on Mind Transference, Georgios T. Halkias

[16]I also notice that the 'Pho ba 'jag tshugs ma of Nyi zla sangs rgyas encompasses elements of the other two rNying ma masters’ works. With regard to the visualisation of self consecration, many details of Vajravārāhī match the depiction in Klong chen pa’s text.13 As for the object of projecting the consciousness, unlike Klong chen pa directing to the world of Samantabhadra, the addressing on Sukhāvatī of Amitābha is identical in both texts of Nyi zla sangs rgyas and Sangs rgyas gling pa. Together with other reasons discussed in that article, the result makes Sangs rgyas gling pa the vital figure of my research.” Ching Hsuan Mei se trompe cependant sur l’auteur du 'Pho ba 'jag tshugs ma, qui est Rechen Peljor et non Nyida Sangyé.

[17] Akṣobhyatathāgatasyavyūha Sūtra (Taishō Tripiṭaka, 313)

[18] Mes blogs anciens sur ce duo : Le Franchissement du pic dans la lignée Kagyu, La prière de Karma Chagmé (Rāgāsya), La Terre pure comme modèle,

[19] Mais inclus dans les vers-vajra du Ni gu'i dmigs phran rnams kyi byin rlabs byed tshul, dans la Collection dPal ldan shangs pa'i chos skor rnam lnga'i rgya gzhung.

[20] Le “banquet blanc”. Jérome Edou, Machig Labdron and the Foundations of Chod (1995), p. 52

[21] Réchen Peljor aurait reçu le mKha’ spyod dkar mo’i ‘pho ba de Shangpa Khyungpo Tsültrim Gönpo. Development of ‘Pho ba Liturgy, p.98. Ce texte est cependant attribué à Gyurmé Dechen (1540-1615), qui fait référence à Thangtong Gyelpo (XIV-XVème). On trouve la version de Réchen Peljor dans le DNZ vol. 17.

[22] Un texte au même titre est traduit par la lignée Drikung par “Standing Blade of Grass”, le brin d’herbe kuśa planté dans le sommet de la tête de l’adepte, après avoir réussi la pratique du transfert quotidien.

[23] Si Rechen Peljor a en effet existé, et s’il a reçu cette pratique de Niguma, si elle a en effet existé également, Rechen Peljor ne l’a jamais mis par écrit dans sa forme originelle. Il y a bien des textes, mais ce qu’il en est dit n’engage à rien.

[24] Attribuée, car uniquement présente dans le DNZ volume 17 Instructions diverses. Le commentaire 'pho ba 'jag tshugs ma'i khrid kyi zin tho fait partie du Rinchen Terdzö, soit deux collections Rimé du XIXème siècle. Après avoir reçu des instructions de Niguma, en tant qu’avatar de Khyungpo Neljor, cette pratique aurait été gardée secrète pendant sept générations

[25] gser chos 'pho ba 'jag tshugs ma'i gdams pa la gnyis te/
yid ches bskyed pa'i phyir lo rgyus dang*/
lo rgyus de ldan gyi gdams pa dngos so/
DNZ, volume 17

[26] Rang gi lag g.yas, il n’est pas clair qui tient l’épée, le yogi ou la khecarī. Il n’est pas clair non plus, quel corps ou plutôt tronc sera jeté (skur) dans le kapāla (thod pa). Il me semble que ce soit plutôt celui du yogi. Par la logique interne de la description et le langage. Je ne pense pas comme Ching Hsuan Mei que c’est la khecarī qui se tranche la calotte crânienne, dans laquelle elle jette son propre corps, qui se transforme en nectar, et qui est offert à la khecarī… La khecari, contrairement au yogi, n’a pas besoin de cette transformation, et n’a pas besoin de sacrifier son corps.

[27] 'chug med mkha' spyod kyi 'pho bar grags pa/
'pho ba spe gnyis ma zer ba ni/ skyabs sems gsol 'debs/ 'pho ba kyus bzhin/ rang lus tha mal gyi lus dbus su/ rtsa dbu ma sra zhing brtan pa/ spyi bo nas/ lte 'og zug pa'i lte bar a dkar po mkha' spyod ma spyi bor bsgrad bzhugs/ gsang ba/ tshang bug la sbyar ba/rang gi lag g.yas su ral gris thod pa mdun du phog pa'i nang du/ lus gsang ba yan/ thod par skur ba/_bdud rtsir gyur nas/ mkha' spyod ma mchod pa byas shing / hig zhes/ a lte ba nas 'phar/ dbu ma rgyud mkha' spyod ma'i gsang bar zhugs/ thugs kar slebs/ ka zhes lte bar phab/ mkha' spyod ma yar 'bur/ slar yang byon nas/ spyi bo nas a bdud rtsi'i rnam par dbu mar zhugs/ a'i ngo bor gyur/ mkha' spyod ma 'phur te gshegs/bsngo ba smon lam bya//

[28] tshangs thig zur thig spyi ltar gdab/_/tshangs pa'i thig gi phyogs bzhi ru/_/cha chen brgyad brgyad bcu drug las/_/nang nas brtsams te dang po dang*/_/drug pa phyed gdab phyi ma gdab/_/gnyis pa bdun pa bzhi bzhir bgo/_/lnga brgyad dbus dor mtha' gnyis gdab/_/gsum phyi'i thig reg zlum por

[29] Peut-être jaune (voir : Vajrayoginī, Her Visualization, Rituals and Forms, Elizabeth English, p. 96

[30] Les deux auteurs des sādhana bouddhistes de Chinnamastā/Trikāya-Vajrayoginī sont Virūpa et son maître Lakṣmī[ṅkārā] (group I).
According to the texts in group I, the self-generation of Trikāyavajra-yoginī begins at the yogin’s navel with the visualization of a blossoming white (or red, GSS24) lotus topped with a red sun disk produced from Raṃ. Upon this, the yogin visualizes a red dharmodayā produced from the syllable Hrīṃ , within which Vajrayogini is generated, also from the syllable Hrīṃ."

dimanche 24 juillet 2022

Transports célestes

 
Envol d'une ménade avec un satyre. Fresque de Pompéi (Maison de Dioscuri VI, 9, 6).
Inv. No. 9135.Naples, National Archaeological Museum

Le dieu de la Nature (puruṣa) et sa parèdre (prakṛti), quelques soient leurs noms, vivent aux sommets des montagnes, à la jonction entre le Ciel et la Terre, et c’est là aussi que se situent leur haut-lieux de culte, réels ou imaginaires.

Khecara de Vajrayoginī de la tradition de Nāropa (XVIIIème)

L’univers de Cakrasaṃvara, divinité bouddhiste ésotérique de tantra-mère, rappelle l’univers de Dionysos/Śiva[1]. C’est une divinité Père-Mère, la Mère étant la Reine-vajra (tib. rdo rje btsun mo), Vajrayoginī. Dans le vajrayāna, quand c’est la Reine-vajra, qui est au centre du culte, la divinité Père reste dans les parages pour la “sceller”, comme un roi marque son territoire et ses décrets par son sceau, son effigie sur la monnaie, ses édits, etc., pour que sa volonté soit faite. Dans les approches ésotériques, ce qui est vrai pour le macrocosme le sera aussi pour le microcosme, puisque les deux sont indifférenciables.

Après que Cakrasaṃvara avait dompté Rudra Bhairava, il s’installa en haut du Mont Meru, au milieu d’un entourage composé de bouddha et de bodhisattvas, de Guerriers (skt. vīra) et Guerrières (skt. vīrinī) des cinq clans (skt. kula), du Compilateur ésotérique (skt. guhyaka tib. gsang bdag) [Vajrapāṇi], ainsi que de la suite de Rudra Bhairava. Tous ceux furent initiés et reçurent les explications du tantra à plusieurs reprises.

Le temps de la pratique, en attendant le rapt... détail HA24275

Les pratiquants (sādhaka) qui réussissent (siddhi) le sādhana de la Reine-vajra, ont la promesse d’être transportés, de leur vivant, au paradis céleste (khecara), l’éther, de la Reine-vajra. 

Les siddhi devenus opérationnels... détail HA24275

Le khecara est un état d'impesanteur spirituel, un transport céleste, et prend une place centrale dans l’univers de la Reine-vajra, et donc ultimement celui de Cakrasaṃvara


Arrivée à destination, détail HA334

L’union directe avec le dieu (puruṣa) n’étant pas commode (on s’unirait avec quoi qui nous resterait ?), on passe pas la Reine-vajra (un visage tourné vers le dieu, l’autre vers nous), qui est plus accessible[2]. Il faudrait être fort comme Abhayakāra, pour refuser ses charmes (à trois reprises...).

Ceux qui sont arrivés au Khecara sont désormais des vidyādhara (tib. rig 'dzin),
capables de voir la face de la Reine-vajra détail HA11162

Vidyādhara, dynastie Gupta, Vème siècle, Musée Guimet 

Que faut-il faire ici-bas pour attirer l’attention de la Reine-vajra et être transporté dans l’éther ? Il y a les façons conventionnelles, telles les arts, d’Apollon et des Muses, et puis il y a les transports moins avouables de Dionysos, avec son cortège de ménades et de satyres, la nuit dans des lieux solitaires et effroyables. Les premières ayant plutôt lieu le jour, ou le soir, après le travail, dans de beaux temples, et les dernières la nuit dans des lieux moins fréquentables et fréquentés.

Autour d'un corps déchiqueté, détail HA24275

Dans l’univers bouddhiste ésotérique de la non-dualité, les extrêmes, indissociables, se rejoignent, et pourvu que l’on arrive à la non-dualité (qui peut être une union qui ne dit pas son nom), à l’état d'impesanteur spirituel, peu importe par quel chemin on passe.

Dans la suite de Dionysos/Bacchus, on trouve les ménades et les satyres (la thiase, “cortège d'une divinité” (Atilf), ‘khor dang bcas pa en tibétain…), comme les premiers adeptes de son culte, et par extension les initiés dans son culte à mystères, suivi ou précédé d’animaux prédateurs et déchiqueteurs. Le mot “ménade” vient du verbe maínomai, “délirer, être furieux”. Le terme français Bacchante vient du latin bacchans “délirer”, à son tour dérivé du nom latin de Dionysos : Bacchus. Thyade (bacchique) est encore un autre mot pour désigner une “femme qui célébrait le culte de Dionysos” “Les Bacchantes, les Thyades et les Ménades, ceintes de la nébride tachetée, agitaient le thyrse entouré de lierre” (Atilf). “Thyade” vient “du grec ancien Θυάς, Thuas ou Θυιάς, thuias, “transporté de délire bachique, inspiré”. Le mot “bhakti[3]” en sanskrit signifie “dévotion passionnée” (wikipedia).
Dans son expédition dans l'Inde, Dionysos ne vêt ses soldats que de vêtements longs et de nébrides, il ceint le thyrse de lierre, il donne le signal avec des cymbales et des tambours. Il enivre ses ennemis et les livre à l'orgie et c'est ainsi qu'il met l'Inde en sa possession.[4]” (POLYEN. Stratagèmes, 1, 1-2)
Des instruments de musique, certes, mais bruyants, qui recouvrent toute communication civilisée, comme on les utilise aussi dans l’entourage de Cakrasaṃvara. C’est la tragédie des Bacchantes d'Euripide qui est une source importante pour notre compréhension des rites des Ménades ravisseuses et transporteuses..
Dans l’imaginaire grec masculin, la femme a une nature sauvage, désordonnée et menaçante si celle-ci n’est pas contenue. L’homme grec est à la fois fasciné et sur la défensive par rapport à la race des femmes. La ménade, d’une certaine manière, transgresse l’ordre. Elle « s’ensauvage » par l’adjonction d’éléments divers : peau de bête nouée sur son vêtement, serpents dans ses cheveux, animal brandi, comme sur la coupe polychrome du Peintre de Brygos à Munich.[5]
Les rites encadrent la violence des ménades, quand elles abandonnent leurs occupations habituelles et se rendent “sur la montagne”, dans la nature sauvage, chez “les sauvages” (tib. ri khrod pa, śabara).
Le sacrifice dionysiaque, le diasparagmos, déchirement de la victime, suivi de l’omophagie [ consommation de la chair crue de la victime d'un sacrifice], s’oppose au sacrifice civique pratiqué par des hommes, au cours duquel l’animal est abattu, découpé et rôti.” (MC Villanueva)
Ménades déchiquetant Penthée 

Là, nous parlons de formes ritualisées du “transport bachique". Les mythes racontent l’origine des rites, et ce qui advient à ceux qui s’opposent au culte dionysiaque, par exemple le pauvre Penthée. Si on ne tolère pas certaines "transgressions encadrées" sous forme de rites, on s’expose comme une cible.
[Penthée] s’oppose à l’introduction du culte dionysiaque dans son royaume. Alors qu’il est caché dans un arbre du mont Cithéron pour épier la bacchanale, il est découvert et mis en pièces par les ménades, à la tête desquelles figure sa propre mère et ses deux tantes, Ino et Autonoé. C’est le sujet de la tragédie d’Euripide, les Bacchantes.” (Wikipedia)
Je reviendrai sur Penthée et son lien avec Dionysos et un mahāsiddha… dans le cadre du vajrayāna népalais, dans un autre blog.

Le mahasiddha Kṛṣṇācārya, (détail), Himalayan Art 18650

Mais bien encadrée, et proprement "scellée" par la patriarchie, la "nature sauvage" de la femme est entre de bonnes mains.  

Khecara, tout en haut, détail HA11162

Le mot tibétain pour ḍākinī est “mkha' 'gro ma”, celle qui se meut dans l’éther. La ḍākinī, souvent confondu avec la yoginī (et avec la yakṣī), peut faire “le mal” comme “le bien”. Bien encadrée par Dionysos, Śiva, Cakrasaṃvara, la Reine-vajra, etc., sa violence est canalisée rituellement. Le “transport de délire bachique” ou “l’ire” (l’énergie incontrôlée), ou "félicité sauvage" de la ḍākinī n’est pas un caractéristique qui se limite aux femmes. “La Sauvage” (gtum mo, caṇḍālī) est naturellement présente en tous, les hommes comme les femmes. “Contrôlée” cette énergie est capable de “transports célestes”. Idéalement jusqu’au paradis céleste (khecara), au sommet de la montagne (d'ailleurs, comment y passe-t-on le temps, si le temps et l’espace y sont encore opérationnels ?). En fait, l’existence sur cette Terre pure semble se dérouler comme sur toute autre Terre pure, on peut y recevoir des tantras, des instructions, etc. permettant de continuer sa carrière de futur Bouddha. On peut voyager vers d’autres Terres pures, donner des coups de mains à Jambudvīpa, comme troupier dans la suite des Guerriers (skt. vīra) et Guerrières (skt. vīrinī) d’un Heruka ou d’une Vajrayoginī. Rave parties spirituels garantis.

Khecara, détail, HA11162

Il y a donc un cadre mythologique, l’éventuelle existence réelle initiale du “ménadisme” et de ses rites sauvages, et l’éventuelle domestication patriarcale du ménadisme, car des matériaux hagiographiques font état de tous ces éléments. 

Quand les "transports" sont domestiqués, ils deviennent symboliques. Déchiqueter des animaux, boire leur sang et manger leur chaire devient alors autre chose, et continuera de façon rituelle afin de garder le lien.

Parmi les nombreuses tentatives des écoles Kagyupa pour "ensauvager" Maitrīpa, afin d'en faire un véritable vidyādhara, il y a les hagiographies sur la rencontre de Maitrīpa avec Śavaripa, siddha vivant sur la montagne avec des ménades, ayant "réalisé" Cakrasaṃvara, et prenant toute la mythologie qui entoure ce dieu comme cadre de vie. Pour rassurer les lecteurs d'hagiographies tibétaines, tout cela ne sont que des simulacres. Aucune biche, et aucun sanglier n'a été "réellement" déchiqueté et dévoré. Ce sont des bouddhistes après tout... Donc
"Dans la forêt de l'ignorance (avidyā)
Vivent (tib. rgyu ba) les créatures de la saisie dualiste
Propulsée par l'arc de l'union des expédients (upāya) et de la lucidité (prajñā)
La flèche unique de la réalité intime (hṛdayārtha) vole
Ce qui meurt, ce sont les créations mentales (vikalpa)
La viande, c'est ce qui est dévoré dans l'indifférenciation (advayatā)
Sa saveur, est celle de la liberté universelle (mahāsukha)
Le résultat est la Mahāmudrā."[6]
Et quels que soient la singularité, les écrits et la méthode de mahāmudrā d'Advayavajra ("Maitrīpa"), dans la tradition tibétaine, Maitrīpa est désormais un vidyādhara qui vit dans les charniers et fait marcher les cadavres, parce qu'il aurait eu ce siddhi (parmi d'autres) et qu'il faut bien s'en servir.
  
Maitrīpa, détail HA60674 

***

Quelques passages de la tragédie des Bacchantes d'Euripide, qui rappellent l'univers de la félicité sauvage :

(Épode.) Quelle joie pour lui de s’égarer dans les montagnes, de quitter les danses rapides, pour se jeter sur la terre, revêtu de la nébride sacrée, de poursuivre le bouc et de manger sa chair palpitante, de parcourir les monts de la Phrygie et de la Lydie, et le chef est Bromios ! Évoé[35] ! Des ruisseaux de lait, des ruisseaux de vin, des ruisseaux de miel, nectar des abeilles, arrosent la terre, et l’air est embaumé des doux parfums de la Syrie. Bacchus, tenant une torche de pin allumée dans une férule, l’agite en courant, excite les danses vagabondes et les anime par ses cris, laissant sa blonde chevelure flotter au gré des vents, en même temps il fait éclater ces clameurs : « Courage, courage, Bacchantes, délices du Tmolos, dont l’or enrichit le Pactole[36] ! Chantez Bacchus au bruit des tambours retentissants ! Évoé ! célébrez votre dieu Évios par des cris de joie, par des chants phrygiens, lorsque les doux sons de la flûte sacrée font entendre des accents sacrés en accord avec vos courses rapides. À la montagne ! à la montagne ! » Alors la Bacchante joyeuse, semblable au jeune poulain qui suit sa mère dans les pâturages, bondit et s’agite en cadence.”

Ta mère, lorsqu’elle entendit les mugissements des bœufs cornus, debout au milieu des Bacchantes, poussa de grands cris pour les éveiller. Celles-ci, chassant le sommeil profond de leurs paupières, furent bientôt debout, offrant le spectacle d’une merveilleuse modestie, jeunes, vieilles, et vierges encore étrangères à l’hymen[86]. D’abord elles laissent flotter leurs cheveux sur leurs épaules et attachent leurs nébrides, dont les liens étaient dénoués, et elles assujettissent ces peaux tachetées avec des serpents qui leur caressent le visage. D’autres, tenant dans les bras un chevreau ou de jeunes louveteaux, leur donnaient un lait blanc ; c’étaient celles qui, ayant récemment enfanté, avaient encore les mamelles gonflées de lait, sans avoir leurs enfants auprès d’elles ; puis elles se couronnent de lierre, de feuilles de chêne et de smilax fleuri. Une d’elles prend son thyrse et en frappe un rocher, d’où jaillit une source d’eau pure ; une autre laisse tomber sa férule sur le sol, et le dieu en fait sortir une fontaine de vin ; celles qui désiraient un breuvage blanc n’avaient qu’à entrouvrir la terre du bout de leurs doigts[87], et il en coulait des ruisseaux de lait ; et leurs thyrses, entourés de lierre, distillaient un miel savoureux.”

À l’heure fixée, les Bacchantes agitaient leurs thyrses pour leurs rites sacrés, invoquant à grands cris Iacchos, le fils de Jupiter, ou Bromios ; toute la montagne et les bêtes sauvages partagent la fureur des Bacchantes, rien qui ne fût en mouvement et qui ne courût. Par hasard Agavé bondissait près de moi ; je m’élançai pour la saisir, abandonnant le taillis où mon corps était caché ; mais elle s’écria : « Ô mes fidèles compagnes[88], voilà des hommes qui nous poursuivent ; suivez-moi donc, suivez-moi, les mains armées de vos thyrses. » Aussitôt nous fuyons, pour éviter d’être déchirés par les Bacchantes ; mais elles, avec leurs mains désarmées, fondent sur les troupeaux qui paissaient l’herbe : l’une tient dans ses mains une génisse aux mamelles gonflées, partagée en deux et encore mugissante ; d’autres déchirent des vaches en lambeaux ; on voit des côtes ou des pieds fourchus voler de toutes parts, et les débris restent suspendus aux arbres, dont les rameaux dégouttent de sang. Les farouches taureaux, aiguisant leurs cornes menaçantes[89], tombent le corps terrassé par les mille mains de jeunes filles, et leurs chairs dépouillées de leurs peaux étaient dépecées en un clin d’œil[90]. Comme des oiseaux emportés dans les airs d’un vol rapide, elles s’élancent dans la vaste plaine arrosée par l’Asopos[91] et qui se couvre de riches moissons pour Thèbes ; et fondant en ennemies sur les villes d’Hysia et d’Érythra[92], qui s’étendent au pied du Cithéron, elles y portent la dévastation, elles enlèvent les enfants des maisons, et tout ce qu’elles chargeaient sur leurs épaules, même le fer ou l’airain, y restait suspendu sans aucun lien et sans tomber à terre ; la flamme même brillait sur leur chevelure sans la brûler[93]. Les bergers, dépouilles par les Bacchantes, courent aux armes. Mais alors, ô roi, on vit un spectacle étrange[94] : leurs traits armés de fer ne blessaient pas les Bacchantes, tandis que celles-ci, en lançant leurs thyrses, faisaient de profondes atteintes à des femmes, elles mettaient les hommes en fuite, grâce à la protection d’un dieu. Puis elles revinrent aux lieux d’où elles étaient parties, aux sources mêmes qu’un dieu avait fait jaillir pour elles ; elles y lavèrent le sang qui les couvrait, et les serpents avec leur langue essuyaient les gouttes qui coulaient de leurs joues. Quel que soit donc le dieu, ô mon maître, reçois-le dans cette cité ; car, entre autres preuves de sa puissance, on dit encore de lui, à ce que j’ai appris, qu’il a donné aux mortels la vigne qui chasse leurs chagrins. Mais sans le vin l’amour n’est plus, et il ne reste plus aucun autre plaisir aux hommes[95]."
Euripide : Oeuvres complètes, traduction de Nicolas Artaud, Arvensa Editions


[1] Comme résumé de leurs noms, origines et aspects multiples.

[2]Deuxièmement, le chemin réel de l'accomplissement : Le meilleur type de personne est le suivant : En faisant simplement ces choses - en effectuant des récitations et des méditations sans interruption, en ayant accompli la retraite de base (où l'on récite le mantra de Vajrayoginī quatre cent mille fois), en effectuant les offrandes les deux dixièmes de chaque mois (lunaire) [c'est-à-dire le dixième et le vingt-cinquième] - un jour, Vajrayoginī apparaîtra sous la forme d'une femme ordinaire et, après avoir reconnu qu'elle est Vajrayoginī, on sera pris par la main par Vajrayoginī et conduit directement au royaume de Khechari sans abandonner son propre corps.” (trad. automatique L'enseignement de Vajrayoginī selon Le Yoga secret ultime dans la tradition Naropa, par Jamyang Khyentse Wangchuk).

[3] “भक्ति bhakti [act. bhaj] f. amour, zèle, dévotion, ferveur, adoration ; fidélité, hommage ; extase | phil. culte, adoration ; not. culte extatique de l'amour divin | myth. [Śrīmadbhāgavatamāhātmya] np. de Bhakti, jeune femme personnifiant la dévotion ; elle apparaît à Nārada accompagnée de deux vieillards séniles Jñāna et Vairāgya présentés comme ses fils ; Nārada consulte les 4 éternels [sanakādi] qui organisent un saptāha afin de leur rendre leur jeunesse | ordre, série, séquence — ifc. cas de, part de <iic.>.” (Inria)

[4] Lévêque Pierre. Dionysos dans l'Inde.

[5] Des ménades et de la violence dans la céramique attique, Marie-Christine Villanueva

[6] Dans mon blog Deux maîtres d'Advayavajra 25 juin 2010 

ma rig pa yi nags tshal tu//
bzung 'dzin gnyis kyi ri dwags rgyu//
thabs shes gnyis kyi gzhu brdungs nas//
snying po don gyi mda' gcig 'phangs//
'chi ni rnam par rtog pa 'chi//
sha ni gnyis su med par zos//
ro ni bde ba chen por myong*//
'bras bu phyag rgya chen po thob//