Frontispice d'un manuscrit du Rājayogāvivaraṇa (attribué à Gorakṣanātha) |
Le mot “amanaska” signifie “absence d’activité mentale” dans le contexte du Haṭha-yoga-pradīpikā (HYP, XVème s.).[1] Il a un usage plus ancien dans la tradition jaïn, notamment dans le Tattvārthsūtra, qui se nomme encore Tattvārth-adhigama-sūtra et, plus intéressant pour nous, le Mokṣa-śāstra[2]. Dans ce texte jaïn, les êtres sont divisé en deux catégories, ceux qui possèdent un esprit (samanaska) et ceux qui sont sans esprit (amanaska).
Jason Birch a fait une thèse[3] sur un texte connu sous le nom de Amanaska, aussi connu comme Amanaska-yoga depuis le XIXème siècle. Il s’agit d’un texte de Śaiva-yoga datant du XIIème siècle dont la deuxième section (Amanaska) serait le texte le plus ancien du Rāja-yoga[4]. Le texte compte 198 vers et se divise en deux sections : Tāraka et Amanaska. Le texte avait été attribué à Gorakṣanātha, mais pour Jason Birch son véritable auteur est inconnu. Selon ses recherches, les deux sections étaient initialement deux textes séparés. La section Amanaska présente des similitudes avec le Dohākoṣagīti de Saraha et le commentaire d’Advayavajra Avadhutipa, le Dohākoṣahṛdayārthagītāṭīkā (D2267).
Selon Jason Birch, la définition la plus ancienne du terme Rājayoga se trouve justement dans la deuxième section de l’Amanaska. Elle proclame le système du Rājayoga supérieur à tous les autres yogas et systèmes sotériologiques indiens de son époque. Du XIIème au XVème siècle, le mot Rājayoga fut utilisé comme synonyme du mot samādhi.[5]
La définition du Rājayoga est donné dans les vers 3-6 de la deuxième section (trad. Tara Michaël).
“3. C'est ce qu'on appelle le Rāja-yoga, ô taureau d'entre les sages. Parce qu’il est le roi de tous les yoga[6], on le connaît comme ‘le yoga royal’.Jason Birch (Rajayoga, p. 408) explique que dans ce contexte, il vaut mieux rendre “yoga” par “méthode”. Une méthode pour atteindre le Soi, qui est l’Âme suprême, le Roi. Cette méthode est “l’état non-mental” (amanaska, ‘no-mind state’). Le "mental" qu'il s'agit de neutraliser ou déraciner, ce sont en fait les pensées intentionnelles (saṅkalpa).
4. S’il est dénommé Rāja-yoga, c'est aussi parce qu'il fait atteindre à l'être incarné ce suprême, impérissable Brahman qui règne et qui resplendit.
5. Qui connaît en vérité la grandeur du Rāja-yoga ? La Délivrance est atteinte grâce à cette connaissance, et cette connaissance s'obtient grâce au Guru.
6. Celui qui connaît dans leurs traits distinctifs le yoga intérieur et le yoga extérieur, cet être doit être honoré par moi-même et par toi, combien à plus forte raison par le reste des hommes !” [7]
"23. [2.22 JB] Cette sorte de Dissolution des mondes [layah ko 'pi], où toutes les idéations sont déracinées, où toutes les agitations sont anéanties, ne peut être comprise que par soi-même, car elle est hors du domaine de la parole." (TM, p. 193)
ucchinnasarvasaṅkalpo niḥśeṣāśeṣaceṣṭitaḥ |
svāvagamyo layaḥ ko 'pi jāyate vāgagocaraḥ ||
Chez Tailopa, on trouve le même type d'instructions. Les yeux clos ou ouverts (ou mi-clos, mi-ouverts) pourraient être une référence au śāmbhavīmudrā. Tailopa semble cependant être allé au-delà de toute artifice et pensée intentionnelle.
Bjarne Wernicke Olesen[8] mentionne que la deuxième section est antérieure d’un ou deux siècles au Dattātreyayogaśāstra, et qu’elle a 22 vers en commun avec le Kulārṇavatrantra. La "dissolution" graduelle (résorption) de l’esprit, qui est l’objet de la première section, est un des résultats de la deuxième section, ce qui présente des possibilités d’approches “subitistes”. Une des techniques principales de la deuxième section est le śāmbhavīmudrā, où le yogi a le regard tourné vers l’extérieur (sans cligner les yeux), tout en dirigeant l’attention vers l’intérieur. Cette technique du regard (s.dṛṣṭi tib. lta stang) provoque le dépassement du mental (unmanī). Le Rājayoga de l’Amanaska n’a nul besoin d’éveiller la Kuṇḍalinī, ou de progresser en étapes (vers 2.14). “Rien que l’application attentive à ce yoga confère la suprême réalisation” (TM).
L’Amanaska pratique l’ironie tout comme le Dohākoṣagīti de Saraha. Il n’est pas toujours très aisé de deviner quand il faut interpréter un vers de façon ironique. Mais le vers 2.16 est un peu ironique, et c’est ainsi que Tara Michaël l’a interprété.
Le vers 2.42b (43 chez Tara Michaël) rejette les autres techniques de yoga à cause de leur difficulté et leur objectif douteux.
Advayavajra/Avadhūtipa est sans doute l’auteur du Dohākoṣagīti de Saraha, et le commentaire Dohākoṣahṛdayārthagītāṭīkā (D2267) lui est attribué. Ce texte partage beaucoup d’éléments avec l’Amanaska. Advayavajra est l’inventeur (par attribution) du Cycle de traités appelé Advayavajrasaṁgraha[9], et de la méthode dite “Amanisakāra” (tib. yid la mi byed pa’i chos skor)”, un élément essentiel du système de Mahāmudrā du bouddhisme tibétain. Ce terme est la composition du mot “manisakāra”, préfixé de la lettre A (non-privatif[10]). Il se traduit le plus souvent par quelque chose comme “non-engagement mental”. Klaus-Dieter Mathes propose la traduction “réalisation non-conceptuelle”, à cause de la définition d’Amanisakāra donnée dans Justification de la réalisation non-conceptuelle (Amanasikārādhāra, texte n° 23 du Cycle). C’est une définition à deux niveaux :
1. la négation d’engagements conceptuels dualistes qui renforcent la croyance en la dualité sujet-objet
2. “l’autoconsécration lumineuse” (‘luminous self-empowerment’), où la syllabe “A” représenterait l’adjectif lumineux (s. prabhāsvara tib. ‘od gsal ba) et “manasikāra” le mot autoconsécration (s. svādhiṣṭhāna tib. bdag la byin gyis brlab)[11].
Cette défense de la théorie du non-engagement mental et cette définition à deux niveaux me font penser à l’expression de Shakespeare dans Hamlet “The lady doth protest too much”. C’est comme si un texte qui aurait été écrit par Advayavajra (X-XIème s.) prévoit déjà les polémiques qui suivraient aux XIII-XVIème siècles. Padma Karpo avait également écrit une défense[12], contre l’accusation (notamment par Sakya Pandita) que cette doctrine serait une via negationis manquant d’une via eminentiae. Cette "définition" d’Advayavajra, qui est d’ailleurs plutôt une des explications accessoires qu’une définition, tombe alors à pic. Oui, il existe un original en sanskrit, et ce texte est alors considéré comme authentique. Utiliser cet élément spécifique à deux aspects pour fabriquer la traduction anglaise d’Amanisakāra me paraît aller un peu loin. Il faudrait faire une recherche sur les arguments des adversaires, et sur la possible identité de ces adversaires, pour essayer de comprendre pourquoi Advayavajra ou ses disciples étaient tellement sur la défensive au X-XIème siècle.
Je compte écrire davantage au sujet des similitudes entre l’Amanaska et le Dohākoṣagīti de Saraha avec le commentaire Dohākoṣahṛdayārthagītāṭīkā attribué à Advayavajra Avadhūtipa.
Un article intéressant et bien informé par David Higgins Padma dkar po’s (1527–92) Defence of Bka’ brgyud Amanasikāra Teachings
[1] Le HYP 4.3-4 mentionne nirañjana comme synonyme de Rāja-yoga-samādhi. On y trouve également unmanī (dépassant le mental - manas), manomanī (extinction ou dépassement du mental), amaratva (immortalité), laya, tattva, śūnya-aśūnya, para-pada, amanaska (absence d’activité mentale), advaita, nirālamba (absence de support), jīvanmukti, sahaja et turya. Source : Dattātreya, The Immortal, Guru, Yogin, and Avatarā, Antonio Rigopoulos, p. 221, n.46
[2] Le Mokṣopāya ou Mokṣopāyaśāstra est considéré comme un traité (donc écrit par l’homme) sur la libération (mokṣaśāstra).
[3] The Amanaska: king of all yogas. A critical edition and annotated translation with a monographic introduction. Oxford University, 2013.
[4] “The second chapter of the Amanaska – the earliest extant Rāja Yoga text
The Amanaska is a medieval Sanskrit yoga text of one hundred and ninety-eight verses in two chapters (adhyāya). Seventy-five manuscripts have been consulted for this edition and thirty-two were selected for the full collation on the basis of stemmatic analysis on a sample collation of all the manuscripts. The critical apparatus contains references to parallel verses in other works. On the importance of the Amanaska in the history of Rājayoga, see Birch 2014: 406-408 (title: “Rājayoga: The Reincarnations of the King of All Yogas”), available on his academia.edu page.” Source
[5] Rājayoga: The Reincarnations of the King of All Yogas, jason Birch, International Journal of Hindu Studies, 2013
[6] Selon Birch, sans doute le Mantrayoga, le Layayoga, et le Ha†hayoga.
[7] Le Yoga de l’éveil, La voie vers l’inconcevable, Tara Michaël, Fayard, p. 186
[8] Goddess Traditions in Tantric Hinduism: History, Practice and Doctrine, Bjarne Wernicke Olesen
[9] Klaus-Dieter Mathes en a publié une traduction anglaise sous le titre de “A Fine Blend of Mahāmudrā and Madhyamaka: Maitrīpa’s Collection of Texts on Non-conceptual Realization (Amanasikāra)”
[10] Une des explications accessoires : la lettre A représente la nature non-produite de l’engagement mental.
[11] Anglais : “Moreover, a stands for the word ‘luminous’, and manasikāra for the word ‘self-empowerment’ (svādhiṣṭhāna).658 It is both a and manasikāra, so we get amanasikāra.659 Because of that, the words a, manasikāra, and so forth, refer to the inconceivable state of being luminous and [the one of] self-empowerment, [that is,] an awareness which continues as something that is not separate from emptiness and compassion, [i.e.,] not distinct (advaya) from [the level of] indivisible union.”
Tibétain : | yang na a zhes bya1 ba ni ‘od gsal ba’i tshig la | yid la byed pa ni bdag la byin gyis brlab2 pa’i tshig ste | ‘di la’ang a yang yin la yid la byed pa’ang yin pas yid la mi byed pa’o | | ‘dis ni yid la mi byed pa’i gnas bsam gyis mi khyab pa’i3 ‘od gsal ba bdag byin gyis brlab4 pa’i bdag nyid stong pa nyid dang snying rje dbyer med pa zung du ‘jug pa gnyis su med pa’i rgyun yang dag par rig pa bskyed par ‘gyur ro | 1 DP om. 2 P brlabs 3 BP pa 4 BP brlabs
Sanskrit : yadi vā | a iti prabhāsvarapadam | manasikāra iti svādhiṣṭhānapadam | aś cāsau manasikāraś cety amanasikāraḥ | etenāmanasikārādipadair acintyaprabhāsvarasvādhiṣṭhānapadaṃ śūnyatākaruṇābhinnayuganaddhādvayavāhisaṃvedanam āpāditaṃ bhavatīti |
[12] Voir Padma dkar po’s (1527–92) Defence of Bka’ brgyud Amanasikāra Teachings. Journal of the International Association of Buddhist Studies (JIABS). Volume 39, 2016-17, pp. 333-389.
"Moi, Tailopa, je n’ai rien à enseigner, alors…
Que le lieu soit isolé ou non
Que les yeux soient ouverts ou clos
Que la pensée soit avec ou sans artifice." (Dohākoṣa-nāma de Tailopa, vers 4 Chants de Plénitude p. 63)
"La pensée non dirigée, c'est le Sceau universel (Mahāmudrā)L’Amanaska est la révélation que Shiva fait à Vāmadeva. C’est la raison pour laquelle il s’intitule aussi parfois “Dialogue entre le Seigneur et Vāmadeva” (Īśvara-Vāmadeva-samvāda). Une autre variante du titre est Svayambodha (l’Eveil spontané) ou Svabodha (l’Eveil au Soi) (TM, p. 150). La première section s’appelle dans certaines versions “Section de la dissolution de l’esprit” Laya-khaṇḍa), et la deuxième “Yoga royal” (Rāja-yoga).
Se familiariser avec elle, c'est atteindre l'insurpassable éveil." (Mahāmudropadeśa de Tailopa, vers 10, Chants de Plénitude p. 91).
Bjarne Wernicke Olesen[8] mentionne que la deuxième section est antérieure d’un ou deux siècles au Dattātreyayogaśāstra, et qu’elle a 22 vers en commun avec le Kulārṇavatrantra. La "dissolution" graduelle (résorption) de l’esprit, qui est l’objet de la première section, est un des résultats de la deuxième section, ce qui présente des possibilités d’approches “subitistes”. Une des techniques principales de la deuxième section est le śāmbhavīmudrā, où le yogi a le regard tourné vers l’extérieur (sans cligner les yeux), tout en dirigeant l’attention vers l’intérieur. Cette technique du regard (s.dṛṣṭi tib. lta stang) provoque le dépassement du mental (unmanī). Le Rājayoga de l’Amanaska n’a nul besoin d’éveiller la Kuṇḍalinī, ou de progresser en étapes (vers 2.14). “Rien que l’application attentive à ce yoga confère la suprême réalisation” (TM).
L’Amanaska pratique l’ironie tout comme le Dohākoṣagīti de Saraha. Il n’est pas toujours très aisé de deviner quand il faut interpréter un vers de façon ironique. Mais le vers 2.16 est un peu ironique, et c’est ainsi que Tara Michaël l’a interprété.
“16. Innombrables, ô Sage, sont les guru qui s’adonnent au Kula-âcâra. Il est difficile de trouver un seul guru qui soit dépourvu de Kula-âcâra.”On peut comparer la kula, la śākti, à la Sophia ou la Nature (la Manifestation). Il y a ceux qui veulent faire la remontée à l’Un, au Seigneur, au Soi de façon progressive (krama), en passant par la Sophia/Nature et une dissolution progressive du mental dans celle-ci, pour que plus rien ne puisse séparer du Seigneur l’âme délestée et purifiée. Pour progresser ainsi, le yogi fait appel à l’imagination créatrice et l’Imaginal. La voie royale est une voie directe à l’éveil, principalement par la technique du śāmbhavīmudrā.
“Jeu de mots. Le Kula-âcâra, c’est la voie des Kaula, une secte de yogin adorateurs de Shakti fondée par Matsyendranâtha. Mais ceci est le sens apparent. La plupart des guru s’adonnent au mode d ’agir, aux conduites (âcâra), de leur secte, de leur lignée, de leur famille spirituelle (kula). Ils sont donc conditionnés dans leur mode d’agir et de penser, limités par leurs croyances, leurs vues et leurs pratiques. Ils n’ont pas atteint ce qui est akula, non déterminé par le milieu social et spirituel, non conditionné, c’est-à-dire amanaska, l’état non mental. D’autre part, Kula est le nom de Shakti, Akula le nom de Shiva. Ceux qui suivent la voie de Kula sont ceux qui appartiennent encore au domaine de la manifestation, qui n’ont pas atteint Shiva, le Transcendant, l’inconditionné. Shiva réside dans le Lotus à mille pétales, siège de la Libération, siège de l’amanaska, tandis que ‘le chemin de Kula’ (Kula-patha), c’est la Sushumnâ depuis le mûlâdhâra jusqu’à l’âjña-cakra”. (TM, p. 191)
Le vers 2.42b (43 chez Tara Michaël) rejette les autres techniques de yoga à cause de leur difficulté et leur objectif douteux.
“43. A quoi bon pratiquer pendant des durées interminables des centaines de prânâyâma qui, quoique purificateurs, entraînent des malaises, sont difficiles à accomplir, ainsi que d’innombrables techniques, douloureuses et difficiles à maîtriser?”Pour l’Amanaska, le samādhi est un état naturel (sahajāvasthā), sans étapes. Les vers suivants auraient pu être écrits par Saraha/Advayavajra :
“33. Il y a des gens qui boivent de l'urine qui est l'excrétion de leur propre corps ; d'autres utilisent des techniques [khecari-mudrā] qui provoquent une abondante salivation. Certains, qui vont jusqu’à la limite, font remonter leur sperme même une fois tombé dans le vagin d’une jeune femme. Il y en a qui absorbent les substances corporelles (dhâtu), habiles qu’ils sont à faire passer l’énergie vitale dans tous les canaux du corps. Chez aucun de tous ces gens ne se trouve la perfection du corps, en l’absence du Râja-yoga qui opère la cessation des fonctions mentales.Le Rājayoga de l’Amanaska n’annonçait pas la fin des autres yogas, au contraire. Il fut intégré par eux et devint le synonyme du samādhi, et leur objectif ultime… Pour atteindre le Rājayoga, il fallait passer par les autres yogas, notamment le Haṭhayoga. Pourtant, l’état non-mental suffisait pour y arriver.
34. Certains ont l’esprit endurci à force de logique et de dialectique, d’autres sont bouffis d’orgueil et d’arrogance, certains sont emplis de présomption du fait de leur caste, d’autres s’embrouillent dans les méditations et autres rites, pour ainsi dire toute la masse des êtres animés est dans la confusion et entretient des conceptions diverses, au lieu de se plonger dans l’unique jouissance, celle de la Béatitude innée qui est vide de conceptions [nirvikārasahajānanda].” (pp. 195-196)
Advayavajra/Avadhūtipa est sans doute l’auteur du Dohākoṣagīti de Saraha, et le commentaire Dohākoṣahṛdayārthagītāṭīkā (D2267) lui est attribué. Ce texte partage beaucoup d’éléments avec l’Amanaska. Advayavajra est l’inventeur (par attribution) du Cycle de traités appelé Advayavajrasaṁgraha[9], et de la méthode dite “Amanisakāra” (tib. yid la mi byed pa’i chos skor)”, un élément essentiel du système de Mahāmudrā du bouddhisme tibétain. Ce terme est la composition du mot “manisakāra”, préfixé de la lettre A (non-privatif[10]). Il se traduit le plus souvent par quelque chose comme “non-engagement mental”. Klaus-Dieter Mathes propose la traduction “réalisation non-conceptuelle”, à cause de la définition d’Amanisakāra donnée dans Justification de la réalisation non-conceptuelle (Amanasikārādhāra, texte n° 23 du Cycle). C’est une définition à deux niveaux :
1. la négation d’engagements conceptuels dualistes qui renforcent la croyance en la dualité sujet-objet
2. “l’autoconsécration lumineuse” (‘luminous self-empowerment’), où la syllabe “A” représenterait l’adjectif lumineux (s. prabhāsvara tib. ‘od gsal ba) et “manasikāra” le mot autoconsécration (s. svādhiṣṭhāna tib. bdag la byin gyis brlab)[11].
Cette défense de la théorie du non-engagement mental et cette définition à deux niveaux me font penser à l’expression de Shakespeare dans Hamlet “The lady doth protest too much”. C’est comme si un texte qui aurait été écrit par Advayavajra (X-XIème s.) prévoit déjà les polémiques qui suivraient aux XIII-XVIème siècles. Padma Karpo avait également écrit une défense[12], contre l’accusation (notamment par Sakya Pandita) que cette doctrine serait une via negationis manquant d’une via eminentiae. Cette "définition" d’Advayavajra, qui est d’ailleurs plutôt une des explications accessoires qu’une définition, tombe alors à pic. Oui, il existe un original en sanskrit, et ce texte est alors considéré comme authentique. Utiliser cet élément spécifique à deux aspects pour fabriquer la traduction anglaise d’Amanisakāra me paraît aller un peu loin. Il faudrait faire une recherche sur les arguments des adversaires, et sur la possible identité de ces adversaires, pour essayer de comprendre pourquoi Advayavajra ou ses disciples étaient tellement sur la défensive au X-XIème siècle.
Je compte écrire davantage au sujet des similitudes entre l’Amanaska et le Dohākoṣagīti de Saraha avec le commentaire Dohākoṣahṛdayārthagītāṭīkā attribué à Advayavajra Avadhūtipa.
Un article intéressant et bien informé par David Higgins Padma dkar po’s (1527–92) Defence of Bka’ brgyud Amanasikāra Teachings
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[1] Le HYP 4.3-4 mentionne nirañjana comme synonyme de Rāja-yoga-samādhi. On y trouve également unmanī (dépassant le mental - manas), manomanī (extinction ou dépassement du mental), amaratva (immortalité), laya, tattva, śūnya-aśūnya, para-pada, amanaska (absence d’activité mentale), advaita, nirālamba (absence de support), jīvanmukti, sahaja et turya. Source : Dattātreya, The Immortal, Guru, Yogin, and Avatarā, Antonio Rigopoulos, p. 221, n.46
[2] Le Mokṣopāya ou Mokṣopāyaśāstra est considéré comme un traité (donc écrit par l’homme) sur la libération (mokṣaśāstra).
[3] The Amanaska: king of all yogas. A critical edition and annotated translation with a monographic introduction. Oxford University, 2013.
[4] “The second chapter of the Amanaska – the earliest extant Rāja Yoga text
The Amanaska is a medieval Sanskrit yoga text of one hundred and ninety-eight verses in two chapters (adhyāya). Seventy-five manuscripts have been consulted for this edition and thirty-two were selected for the full collation on the basis of stemmatic analysis on a sample collation of all the manuscripts. The critical apparatus contains references to parallel verses in other works. On the importance of the Amanaska in the history of Rājayoga, see Birch 2014: 406-408 (title: “Rājayoga: The Reincarnations of the King of All Yogas”), available on his academia.edu page.” Source
[5] Rājayoga: The Reincarnations of the King of All Yogas, jason Birch, International Journal of Hindu Studies, 2013
[6] Selon Birch, sans doute le Mantrayoga, le Layayoga, et le Ha†hayoga.
[7] Le Yoga de l’éveil, La voie vers l’inconcevable, Tara Michaël, Fayard, p. 186
[8] Goddess Traditions in Tantric Hinduism: History, Practice and Doctrine, Bjarne Wernicke Olesen
[9] Klaus-Dieter Mathes en a publié une traduction anglaise sous le titre de “A Fine Blend of Mahāmudrā and Madhyamaka: Maitrīpa’s Collection of Texts on Non-conceptual Realization (Amanasikāra)”
[10] Une des explications accessoires : la lettre A représente la nature non-produite de l’engagement mental.
[11] Anglais : “Moreover, a stands for the word ‘luminous’, and manasikāra for the word ‘self-empowerment’ (svādhiṣṭhāna).658 It is both a and manasikāra, so we get amanasikāra.659 Because of that, the words a, manasikāra, and so forth, refer to the inconceivable state of being luminous and [the one of] self-empowerment, [that is,] an awareness which continues as something that is not separate from emptiness and compassion, [i.e.,] not distinct (advaya) from [the level of] indivisible union.”
Tibétain : | yang na a zhes bya1 ba ni ‘od gsal ba’i tshig la | yid la byed pa ni bdag la byin gyis brlab2 pa’i tshig ste | ‘di la’ang a yang yin la yid la byed pa’ang yin pas yid la mi byed pa’o | | ‘dis ni yid la mi byed pa’i gnas bsam gyis mi khyab pa’i3 ‘od gsal ba bdag byin gyis brlab4 pa’i bdag nyid stong pa nyid dang snying rje dbyer med pa zung du ‘jug pa gnyis su med pa’i rgyun yang dag par rig pa bskyed par ‘gyur ro | 1 DP om. 2 P brlabs 3 BP pa 4 BP brlabs
Sanskrit : yadi vā | a iti prabhāsvarapadam | manasikāra iti svādhiṣṭhānapadam | aś cāsau manasikāraś cety amanasikāraḥ | etenāmanasikārādipadair acintyaprabhāsvarasvādhiṣṭhānapadaṃ śūnyatākaruṇābhinnayuganaddhādvayavāhisaṃvedanam āpāditaṃ bhavatīti |
[12] Voir Padma dkar po’s (1527–92) Defence of Bka’ brgyud Amanasikāra Teachings. Journal of the International Association of Buddhist Studies (JIABS). Volume 39, 2016-17, pp. 333-389.