La traduction française de la déclaration du 23/09/2023 :
“Compte tenu du procès en cours contre Robert Spatz des centres Ogyen Cheuling, l'administration centrale tibétaine (CTA), qui avait précédemment reconnu cet établissement en tant que centre bouddhiste, déclare par la présente que, en réponse aux allégations de harcèlement sexuel, la reconnaissance est suspendue jusqu'à ce que le tribunal rende un verdict dans cette affaire.[1]”Cette déclaration fait suite à une déclaration antérieure (09/02/1994) de reconnaissance d’OKC en tant que “centre bouddhiste”.
La traduction française officielle de la déclaration du 09/02/1994 :
“A QUI DE DROIT
Le présent document est établi afin d’afirmer qu’Ogyen Kunzang Cheuling de Bruxelles et ses établissements en France et au Portugal sont tous d’authentiques Centres Tibétains Bouddhistes. Ces Centres Tibétains Bouddhistes ont été institués sous la direction de trois maîtres Tibétains de l'École Nyingmapa du Bouddhisme Tibétain, tous tenus en très haute et profonde estime. Il s’agit là des trois maîtres de cette école, à savoir Kyabje Dudjom Rinpoche, Kyabje Dilgo Khyentse Rinpoche et Kyabje Kagyur Rinpoche.
Nous espérons très sincèrement qu’il leur sera donné de croître et prospérer en faveur de toute l’humanité et, plus particulièrement, de le faire dans l’intérêt de tous ceux qui souhaitent approfondir et pratiquer la philosophie Bouddhiste et son mode de vie.
Toute assistance et aide prodiguées auxdits Centres Tibétains Bouddhistes seront des plus appréciées.Signé : illisible
Kalon Tenzin N. Tethong
Président du Kashag
Cabinet Office of H.H. the Dalai Lama[2]”
Le Dalaï-Lama avait visité le centre OKC et y avait enseigné en avril 1990.
En 1993, et plus concrètement en 1994, dans le cadre de la Sûreté de l’Etat, le Ministre de Justice de la Belgique demande “à la Sûreté d’entreprendre une étude approfondie du phénomène” des sectes[3]. C’est dans ce contexte que l’Administration centrale tibétaine (CTA) avait émis sa première déclaration. Cependant, au moment de la publication du rapport en 1997, et suite à des suspicions de délits financiers et 4 plaintes pour abus sexuels et abus physiques, une perquisition est lancée à OKC, et Robert Spatz fera 6 mois de détention préventive. Le procès correctionnel ne débute que 18 années plus tard le 4 janvier 2016. Spatz est alors condamné à 5 ans de prison avec un sursis partiel, devant la cour d'appel de Liège, mais conteste sa condamnation. Le 09/10/2022 il sera définitivement condamné. Voir le documentaire Bouddhisme, la loi du silence d’Élodie Emery et Wandrille Lanos. La première déclaration (1994) de l’Administration centrale tibétaine ainsi que la mention des noms de trois grands lamas tibétains avait été utilisées par les avocats de Robert Spatz, pour justifier que celui-ci était un lama bouddhiste (Lama Kunzang Dorje) reconnu.
Le tribunal Belge a donc d'ores et déjà rendu “un verdict dans cette affaire”, et la suspension aurait logiquement dû être confirmée et rendue définitive. Une instruction judiciaire avait été initiée à Aix-en-Provence contre un disciple de Robert Spatz/Lama Kunzang Dorje en mai 2021, suite à des plaintes déposées en 2018 par huit femmes mineures à l'époque des faits (“attouchements et viols). Cette affaire là est encore en cours.
“Il a fallu au Kashag plus de deux mois après la signature de la lettre par le Sikyong pour la remettre en main propre à un représentant des survivants de l'OKC le 7 décembre 2023.Comme l’observe Rob Hogendoorn, malgré “l’enquête” menée par le Kashag/Administration centrale tibétaine, il n’a pas été tenu compte du jugement définitif belge intervenu en octobre 2022. Comme si celui-ci n’avait pas eu lieu…
Curieusement, bien qu'il ait prétendument "enquêté" sur la question, le Kashag n'a pas reconnu que le jugement final du procès belge avait été rendu des mois auparavant et avait abouti à une condamnation à une peine de prison avec sursis.
Cette omission apparente pourrait bien avoir été délibérée. Pourquoi ? Parce que le fait de suspendre temporairement son attestation permet au Kashag d'éviter une condamnation claire de l'OKC, quelle que soit l'issue d'un procès étranger.
En effet, en postulant une "affaire judiciaire en cours" qui était en fait terminée, la lettre laisse entendre de manière trompeuse une position de principe que le Kashag n'a manifestement pas prise.” Open Buddhism, Rob Hogendoorn, Central Tibetan Administration Suspends Attestation Robert Spatz’s Ogyen Kunzang Choling, 08/12/2023
La dernière déclaration permet cependant de noter quelques changements dans l’approche de la CTA/Kashag. Elle semble désormais avoir officiellement l’autorité de déclarer “bouddhiste” ou “bouddhiste tibétain” des individus ou des centres, de toutes les appellations tibétaines, ou de suspendre leur homologation. Ce qui est nouveau aussi, c’est que le “harcèlement sexuel” est une raison pour suspendre cette homologation. Peut-être cette déclaration sera la première d’une longue série à venir ? En Occident, en Asie et ailleurs ? Peut-être d’autres raisons, délits financiers, etc., pourront aussi être invoquées pour suspendre l’homologation d’un centre ou d’un individu reconnu "bouddhiste".
En plus de la condamnation d’un chef d’une organisation bouddhiste, ou malgré le manque de condamnation de celui-ci pour diverses raisons (arrangement extrajudiciaire, fuite, décès, maladie, …), d’autres responsables de son organisation peuvent être attaqués en justice pour “harcèlement sexuel”, non-assistance de personne en danger, délits financiers, pratique illégale de la médecine, etc.
Le projet Sunshine mène une enquête sur les abus survenus dans les organisations de Chogyam Trungpa aux Etats-Unis. Le New York Times publie le 12 juillet 2018 : The ‘King’ of Shambhala Buddhism Is Undone by Abuse Report
En Europe, suite à l'affaire Rigpa/Sogyal :
“En avril 2019, Patrick Gaffney [de Rigpa] sera par la suite disqualifié pour une période de huit ans par la Charity Commission[2] for England and Wales, notamment pour avoir eu connaissance des “allégations d’actes impropres et abus sexuels et/ou physiques” contre des étudiants au sein de la charité. Comme il n’avait pas pris les mesures qui s'imposaient, il était considéré responsable de l’inconduite et/ou de la mauvaise gestion dans l’administration de la charité[3]. (The Guardian).” Voir mon blog Une évolution heureuse ? 18/09/2019En mai 2021, une instruction était ouverte en Aix-en-Provence contre un ancien disciple de Robert Spatz, “soupçonné de viols sur au moins huit fillettes”.
Après avoir engagé une procédure contre le XVIIème Karmapa Ogyen Thinley Dorje, au nom de leur cliente Vikki Hui Xin Han, laquelle procédure avait été abandonnée en 2022 pour des raisons inconnues, le cabinet d’avocats McAllister Olivarius a engagé une autre procédure contre le centre bouddhiste Palpung Thubten Chöling (auparavant Kagyu Thubten Chöling, PTC/KTC) à Wappinger Falls, New York, au nom de trois plaignantes souhaitant rester anonymes.
“M. McAllister explique qu'à travers cette procédure, les trois plaignantes cherchent à réparer le préjudice qu'ils ont subi aux mains de Norlha (né en 1938 et décédé en 2018) et de PTC/KTC. Il ajoute :Toutefois, elles craignent que le fait d'être nommées publiquement ne leur cause, ainsi qu'à leurs familles, des préjudices psychologiques, financiers et même physiques. Ayant déjà énormément souffert des abus sexuels perpétrés à leur encontre, les plaignantes ne devraient pas avoir à subir la honte et l'embarras supplémentaires qui résulteraient de la publication de leurs noms. ... Les plaignantes ont tout intérêt à procéder de manière anonyme dans le cadre de cette procédure. Comme décrit plus en détail ci-dessous, les plaignants ont été victimes d'abus et d'exploitation sexuels brutaux et continus de la part d'un homme puissant, Norlha, pendant des décennies. Plutôt que de protéger les plaignantes, la partie défenderesse a renforcé le pouvoir de Norlha, lui permettant de continuer à abuser sexuellement des plaignantes. Étant donné la communauté très unie, au sein de laquelle les abus des plaignantes ont eu lieu, les plaignantes sont confrontées à des menaces crédibles de préjudice physique, psychologique et économique si leur identité était révélée. La nature hautement personnelle de leurs allégations, combinée aux risques que la divulgation de leur identité pose, est la situation paradigmatique dans laquelle les tribunaux devraient permettre aux plaignants de procéder de manière anonyme.[4]” Open Buddhism, Rob Hogendoorn, Palpung Thubten Chöling Plaintiffs Risk ‘Harm, Harassment, And Retaliation’ 30/11/2023
Ces quelques exemples ne sont pas exhaustifs. Il s’agit de “centres bouddhistes”, dans lesquels du “harcèlement sexuel” a eu lieu, et où les prédateurs allégués étaient protégées par leur communautés respectives contre les accusations des victimes alléguées, par des stratégies de manipulation dites DARVO (nier, attaquer et inverser la victime et l'agresseur). Tout comme OKC, ces centres sont considérés comme des “centres bouddhistes tibétains”, éventuellement homologués par des lettres d'accréditation de la CTA ou d'autres grands lamas tibétains. Des procédures ont pu être engagées contre ces centres bouddhistes ou leurs lamas, pour ensuite être classées, déboutées, réglées à l’amiable, ou sont toujours en cours (ce qui peut durer 18 ans comme dans le cas d'OKC), etc.
Des bouddhistes tibétains européens avaient souhaité que leurs enfants aient la même “opportunité” que les enfants dans les monastères tibétains, et les avaient confiés à des centres bouddhistes tibétains en France et au Portugal, comme dans le passé des parents catholiques avaient pu confier leurs enfants à des internats, des camps scouts, etc., gérés par des prêtres catholiques (voir le rapport CIASE). Il s’est passé ce qui se passe partout dans le monde, dans tous les milieux et dans toutes les classes de la société.
[1] L’original en anglais :
“→ Chaque année, 580 000 femmes et 197 000 hommes de 20 à 69 ans seraient victimes de violences sexuelles.En Occident, les cas de “harcèlement sexuel” dans les centres bouddhistes concernent des femmes pour la grande majorité, même si un lama bhoutanais avait été condamné en France à 12 ans de prison pour viol de mineur. Le cas d’OKC est spécifique, au niveau du “harcèlement sexuel”, dans la mesure où les victimes étaient principalement des enfants et des mineurs (viol). Cela explique peut-être la déclaration exceptionnelle à l’endroit d’OKC.
→ Depuis 2017, le nombre de victimes de violences sexuelles enregistré sur une année par les forces de sécurité a augmenté de 37%.
→ Pourtant, les condamnations ont diminué dans leur globalité de 18% ; les condamnations pour viols ont diminué de 45%.
→ 99% des auteurs de violences sexuelles sont des hommes.
→ Seuls 8% des auteurs de violences sexuelles font l’objet d’une condamnation et on estime que moins de 1% des auteurs de viols sont condamnés. “ Rapport Fondation des femmes, Cinq ans après MeToo
"Temple des enfants" OKC |
Des bouddhistes tibétains européens avaient souhaité que leurs enfants aient la même “opportunité” que les enfants dans les monastères tibétains, et les avaient confiés à des centres bouddhistes tibétains en France et au Portugal, comme dans le passé des parents catholiques avaient pu confier leurs enfants à des internats, des camps scouts, etc., gérés par des prêtres catholiques (voir le rapport CIASE). Il s’est passé ce qui se passe partout dans le monde, dans tous les milieux et dans toutes les classes de la société.
“(2:15) Journaliste : Mais ce qu’on comprend est que quand ce vœu de chasteté est subi très jeune et comme une contrainte, ça devient un problème.Etant donné qu’il y a “3% de psychopathes” dans tous les milieux, dans toutes les communautés, y compris bouddhistes, en Occident comme en Asie, que font les communautés bouddhistes en Occident comme en Asie pour prévenir le “harcèlement sexuel”, et notamment contre des enfants et des mineurs (viol) vivant dans des communautés bouddhistes. Si c’est à cause du “harcèlement sexuel” qu’une communauté bouddhiste, OKC en occurrence, ne peut plus être considéré comme “bouddhiste” (en attendant “le verdict”), que cela implique-t-il pour des centres ou des monastères bouddhistes où du “harcèlement sexuel”, y compris de mineurs (viol), a lieu ? L’Administration centrale tibétaine (CTA) mène-t-elle des enquêtes pour connaître l’ampleur du phénomène, et pour prendre des mesures pour prévenir les abus ? Puisque cela n’est pas “bouddhiste” ?
Matthieu Ricard : Si c’est une contrainte, c’est un poids qui se traduit par ce qu’on voit, et ce n’est malheureusement pas l’apanage des communautés chrétiennes, le bouddhisme ne fait pas exception, et dans toutes les communautés humaines, il y a 3% de psychopathes. On voit ça dans l’éducation, dans les familles, en fait le pire c’est presque dans les familles, dans le sport, le spectacle, on en voit en n’en plus finir. Ce qu’il faut, c’est accueillir les victimes, qu’elles ne soient pas laissées pour compte, des structures qui permettent de les guider, de les écouter, en temps utile, pas qu’elles aient besoin d’attendre 20 ans, 30 ans. “ Blog Matthieu Ricard sur l'accueil des victimes d'abus sexuel (C à vous) 17/10/2021
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[1] L’original en anglais :
“In view of the ongoing court case against Robert Spatz of the Ogyen Cheuling centers, the Central Tibetan Administration (CTA), which had previously issued a recognition to this establishment as a Buddhist Center, hereby declares that, in response to the allegations of sexual harassment, the recognition stands suspended effectively until such a time the court reaches a verdict on this particular case.”
[2] L’original en anglais :
“To Whom it May Concern
This is to state that Ogyen Kunzang Cheuling in Brussels and its branches in France and Portugal are true Tibetan Buddhist Centers. These Tibetan Buddhist Centers were established under the direction of three highly respected Tibetan masters of the Nyingmapa school of Tibetan Buddhism, Kyabje Dudjom Rinpoche, Kyabje Dilgo Khyentse Rinpoche, and Kyabje Kagyur Rinpoche. It is our hope that they will continue to develop and flourish for the benefit of all humanity, and particularly for those who wish to study and practice Buddhist philosophy and the way of life.
Every assistance given to these Tibetan Buddhist Centers will be most appreciated.
[signature in Tibetan]
Kalon Tenzin N. Tethong
Chairman of the Kashag
Cabinet Office of H.H.the Dalai Lama”
[3] Rapport fait au nom de la commission d’enquête du parlement Belge en vue de lutter contre les pratiques illégales des sectes.
Kalon Tenzin N. Tethong
Chairman of the Kashag
Cabinet Office of H.H.the Dalai Lama”
[3] Rapport fait au nom de la commission d’enquête du parlement Belge en vue de lutter contre les pratiques illégales des sectes.
Enquête parlementaire visant à élaborer une politique en vue de lutter contre les pratiques illégales des sectes et le danger qu'elles représentent pour la société et pour les personnes, particulièrement les mineurs d'âge. Rapport fait au nom de la commission d’enquête par MM. Duquesne et Willems le 28 avril 1997.
[4] “McAllister explains that trough this litigation, the three plaintiffs seek to to redress the harm they suffered at the hands of Norlha (b. 1938 d. 2018) and PTC/KTC. He adds:
However, in doing so, they fear that being named publicly risks psychological, financial, and even possibly physical harm to them and their families. Having already suffered tremendously due to the sexual abuse perpetrated against them, Plaintiffs should not have to suffer the additional shame and embarrassment that will follow if their names are published. … Plaintiffs have a strong interest in proceeding anonymously in this litigation. As descnbed more fully below, Plaintiffs were subjected to brutal and continued sexual abuse and exploitation at the hands of a powerful man, Norlha, over decades. Rather than protect Plaintiffs, Defendant further empowered Norlha, enabling him to continue his sexual abuse of Plaintiffs. Given the tight-knit community in which the Plaintiffs’ abuse occurred, the Plaintiffs face credible threats of physical, psychological, and economic harm if their identities are revealed. The highly personal nature of their allegations combined with the risks that disclosure of their identities poses is the paradigmatic situation in which courts should permit plaintiffs to proceed anonymously.”
[4] “McAllister explains that trough this litigation, the three plaintiffs seek to to redress the harm they suffered at the hands of Norlha (b. 1938 d. 2018) and PTC/KTC. He adds:
However, in doing so, they fear that being named publicly risks psychological, financial, and even possibly physical harm to them and their families. Having already suffered tremendously due to the sexual abuse perpetrated against them, Plaintiffs should not have to suffer the additional shame and embarrassment that will follow if their names are published. … Plaintiffs have a strong interest in proceeding anonymously in this litigation. As descnbed more fully below, Plaintiffs were subjected to brutal and continued sexual abuse and exploitation at the hands of a powerful man, Norlha, over decades. Rather than protect Plaintiffs, Defendant further empowered Norlha, enabling him to continue his sexual abuse of Plaintiffs. Given the tight-knit community in which the Plaintiffs’ abuse occurred, the Plaintiffs face credible threats of physical, psychological, and economic harm if their identities are revealed. The highly personal nature of their allegations combined with the risks that disclosure of their identities poses is the paradigmatic situation in which courts should permit plaintiffs to proceed anonymously.”