samedi 27 février 2021

La marche héroïque


L'aventure c'est l'aventure

Pour commencer, ne pas confondre le Śūraṃgamasamādhi (Śgs) (T642) du IIème siècle et le Śūraṃgama sūtra (T945), qui est un apocryphe chinois du VIIIème siècle.

Ce qui frappe le lecteur, et ce qui avait frappé le traducteur français, Mgr. Etienne Lamotte, ce sont les nombreuses ressemblances entre le Śgs et le Vimalakīrtinirdeśa (Vkn) du IIème siècle. Les deux sont des sūtra de mahāyāna, où le bouddhisme des auditeurs (śrāvakayāna) est mis à mal, et mis sens dessus dessous.

Le bouddhisme śrāvakayāna est connu, trop connu, au point d’être devenu un cliché, et c’est avec un plaisir non dissimulé que le Śgs et le Vkn s’en amusent. Les sūtras mettent en scène tous les protagonistes bouddhistes connus, et utilisent le cadre spatiotemporel traditionnel des enseignements du Bouddha Śākyamuni, en le tirant dans tous les sens spatiotemporels, et en gonflant le nombre des assemblées jusqu’à ce qu’ils ne veulent plus rien dire. On change d’échelle, tout n’est pas seulement “grand” (mahā) dans ce véhicule, mais surtout énorme. Les pouvoirs sont sans limites. Dans le théâtre cosmique du Śūraṃgamasamādhi, tous les rôles peuvent être inversés. Tout est dans tout, surtout dans son contraire, et inversement. Rien n’est impossible à un héros (Bouddha ou bodhisattva), si l’on peut l’imaginer. Rien n’est figé. Rien n’est comme il paraît. La langue ordinaire semble avoir été remplacée par une sorte de Novlangue (Newspeak) “non-dualiste” : "le lien est la délivrance, et la délivrance est le lien”. C’est un des messages clé du Śgs. Le monde du Śgs est l’Imagination, et la liberté intérieure qu’elle procure, pour celui qui comprend que les dharma ne sont pas produits.

La bouddhéité y est une question de temps, et comme ce n’est qu’une question de temps, c’est déjà arrivé, cela arrive et cela arrivera de nouveau. “Time is nature’s way of keeping everything from happening at once”. Eh bien, dans le Śgs, tout se passe en même temps, et partout. Pendant que le Bouddha Śākyamuni prêcha au Magadha, dans d’autres univers, il en était encore aux Jātaka, ou au milieu de son harem. Il n’y a plus de cloisons dans les mémoires. La marche des héros montrera surtout que les héros anciens du śrāvakayāna, sont d’un calibre bien moindre que les héros bodhisattvas. Sariputra, Mahakasyapa, Ananda, Subhuti, … ils restent tous bredouilles. Les deva et autres êtres surnaturels sont tous des fans inconditionnels du Bouddha, qui en a fait des bodhisattvas en leur faisant adopter le projet de la bouddhéité (skt. cittotpāda tib. sems bskyed), et en leur prédisant leur éveil futur, bien que le futur, vous savez… dès le moment, où l’on décide de s’éveiller, on entre dans le samādhi de la marche héroïque, et plus rien ne sera comme avant.

Le grand exploit du Śgs est la conversion de Māra et de ses filles (devankyā), projet habilement mené par un bodhisattva expert du nom de Māragocarānupalipta (Non-souillé par le domaine de Māra, tib. bdud kyi spyod pa’i yul gyis mi gos pa). Māra, qui voulait à tout prix empêcher l’enseignement de ce sūtra célébrant le projet de la bouddhéité à la portée de tous, se trouve attaché par cinq liens aussitôt qu’il produit son projet malicieux. Pour que ces liens se défassent, il faut que lui aussi produise le projet de la bouddhéité. Il fera semblant, mais même faire semblant suffit parfois dans le monde étrange du Śgs …

Pour convertir les filles de Māra, enfin 200 devankyā “lubriques” (tib. lha mo 'dod chags la spyod cing chags pa) traduit Lamotte, Māragocarānupalipta développe un charme à faire sauter tous les verrous. Il crée 200 clones de lui-même et comble les désirs de chacune des 200 devankyā, en échange de leur promesse d’adopter le projet de la bouddhéité. Ces deux conversions donnent lieu à des prédictions par le Bouddha de leur future bouddhéité, et à une explication des différentes types de prédiction[1]. Les 200 filles exigent le dernier type de prédiction, et ne veulent pas d’une prédiction en cachette, ce qui fait rire le Bouddha… Pas un sourire mystérieux, on est quand même dans le mahāyāna, mais :
de sa bouche, jaillirent des rayons de couleurs diverses qui illuminèrent tous les univers, firent retour au Bhagavat et disparurent dans sa protubérance crânienne”.
Le Bouddha explique qu’elles deviendront des Bouddha “au bout de sept cents périodes incalculables” - mais qu’est-ce le temps dans cet univers où le temps et l’espace se télescopent, et où tout arrive en même temps - et que dès leur mort, elles “changeront leur corps de femme, iront toutes renaître dans” Tuṣita, où elles vénéreront et serviront Maitreya.[2]

A ce sujet, il faudrait parler du cas du devaputra Gopaka, une des ex-épouses du bodhisattva Śākyamuni, qui avait obtenu un corps masculin de devaputra, fils de Sakra, après sa mort, mais sans avoir pour autant “détruit ni abandonné les caractéristiques du corps féminin[3], car :
[les concepts] d’homme et de femme sont des méprises, et tous les dharma, eux aussi, sont des méprises : ils sont absolument privés de dualité”.

Ceux qui sont engagés dans le Grand Véhicule ne voient pas de différence entre homme (puruṣa) et femme (strī). Pourquoi ? Parce que la pensée omnisciente (sarvajñācitta) ne se trouve pas dans le triple monde et que les notions d’homme et de femme sont forgées par les imaginations (vikalpaprabhāvita).[4]
Notons au passage que les femmes ayant participé le lit d’un bodhisattva, renaissent dans un monde divin dans un corps masculin. La loi du Karma semble ignorer le Dharma profond et les Bouddha et bodhisattva naissent ou se métamorphosent (tib. sprul) dans des corps formels avec des attributs mâles. Le “bouddhisme” produit par le Śgs reste un bouddhisme dualiste. La raison, ou l’excuse, donnée est le fait que les diverses dualités comptent pour les êtres à convertir.
Les bodhisattva, sans jamais s’écarter du Śgs, se manifestent partout dans d’innombrables univers et prêchent la Loi selon les aspirations des êtres[5].”
Ils s’adaptent, il s’abaissent à enseigner des dualités, afin de faire progresser les êtres… Il y a bien des différences entre homme et femme, entre le brahmin et le śūdra, le maître et l’esclave. Dans leurs métamorphoses etc., les Bouddhas et bodhisattva, utilisent et cautionnent donc ces différences, et ne suggèrent pas de changer la moindre chose dans le monde, justement à cause de la non-dualité, qu’ils sont les seuls à connaître. C’est l’une ou l’autre extrême. Il ne faut pas penser à cette vie-ci, il faut penser à la suivante. Qu’importe que l’on soit un esclave, un śūdra, une femme, quand on sait qu’en servant un bodhisattva, on aura une bonne naissance. D’autant plus, quand on a adopté le projet de la bouddhéité (cittotpāda), et que l’on est alors déjà un peu comme un Bouddha au plus profond de soi, invisible aux autres.
Nous devons considérer tous les êtres comme étant le Maître [le Bouddha] en personne. Pourquoi ? C’est que nous ne possédons pas ton savoir et nous ne savons pas chez quel bodhisattva se trouvent les facultés spirituelles mûrissant en Bodhi et chez quels bodhisattva elle ne se trouvent pas. Ainsi donc, ô Bhagavat, ignorant cela, il nous arrive de concevoir du mépris pour de tels hommes et, par là, nous pouvons nous blesser nous-mêmes[6].”
D’autant plus qu’un bodhisattva bon-vivant comme Māragocarānupalipta
“...se manifeste dans tous les domaines de Māra, mais il n'est pas souillé par les domaines de Māra. Il s'amuse avec les filles des dieux (devankyā), mais il n'éprouve pas de mauvais plaisir sexuel (maithunarati). Ce kulaputra se trouve en Śgs : il pénètre dans les palais de Māra, et cependant il ne quitte pas l'Assemblée réunie autour du Bouddha. Il semble parcourir le monde de Māra, s'y promener et si amuser, mais il emploie les buddhaharma pour convertir les êtres[7].”
Sans aucune hypocrisie évidemment. Ce monde injuste, que nous connaissons, le Śgs montre qu’il en existe de centaines de milliers dans tout l’univers, gérés d’une main de maître par des assemblées de Bouddhas et des bodhisattva. L’injustice, les inégalités, bref les dualités de ces mondes sont au fond des moyens habiles pour inciter les êtres qui les habitent à rejoindre le projet de la bouddhéité, pour qu’ils réalisent la vacuité et la non-dualité, et qu’ils tiennent ainsi jusqu’à leur mort, tout en se sachant en réalité déjà inséparables de l’assemblée du Bouddha, pour ensuite accéder à une renaissance meilleure, et recevoir d'un des millions de Bouddhas en personne la prédiction de sa future bouddhéité.

En attendant, et en vivant sa vie,
l’homme ne doit pas juger l’homme, car il se blesse lui-même bien vite, ô Moines, l’homme qui juge l’homme. Moi-même ou qui me ressemble pouvons scruter l’homme”.
Rappelons tout de même le contexte. Le Bouddha s’adresse surtout aux auditeurs, qui jugent les actes des bodhisattva, et qui ne devraient pas faire cela, dans leur propre intérêt, car
ô Kāśyapa, le bodhisatvva et le śrāvaka doivent considérer tous les êtres comme étant le Maître lui-même, et se demander prudemment si quelque individu appartenant au Véhicule des bodhisattva ne se trouve pas devant eux[8].”
C’est sans doute en pensant à cela, que Lama Zopa a pu dire au sujet de l’affaire Dagri Rinpoché : “We will have to achieve enlightenment in order to investigate the beginningless rebirths of Dagri Rinpoche. We have to be enlightened; otherwise, we can’t investigate. This is my logic.” Lama Zopa Rinpoches Additional Advice to Students of Dagri Rinpoche

Ou le recadrage des étudiants de Vajradhatu/Shambala par Gyatrul Rinpoché, qui les rappelait que les “mécomportements” des maîtres (Chögyam Trungpa et le régent-vajra) étaient “des grandes bénédictions de grands bodhisattvas, qui étaient plus grands que des rois”.
N’ayez pas de pensée ordinaire à ce sujet, du type “Oh, il a couché avec moi, alors je suis son égal ; cela fait de moi quelqu’un de spécial, car il a couché avec moi”. Ce n’est pas la façon de penser qui convient à une sangyum. Il est de la responsabilité d’une sangyum de considérer qu’il voyait en vous une connexion karmique à cultiver. Et n’oubliez pas que c’était à cause de sa bonté qu’il avait reconnu votre karma de cultiver cette connexion et de l’actualiser. Si votre attitude en est une d’humilité et de dévotion, et que vous suivez ses instructions, cela pourra être très bénéfique pour vous à cause de la nature particulière de votre connexion avec lui. Si vous cultivez cette situation, vous pourrez progresser, et être très utile aux autres. Mais si vous ne reconnaissez pas le niveau de cette connexion et la percevez comme quelque chose d’ordinaire, en vous gonflant d’orgueil et d’ego, vous aurez réellement manqué cette opportunité. Ce serait plutôt comme coucher avec un roi, mais [votre maître] n’était pas un roi, mais un bodhisattva. C’est une grande différence[9].”

***

[1] Celle concernant celui qui n’a pas encore produit la pensée de Bodhi, concernant celui qui vient de produire la pensée de Bodhi, celle faite en cachette de l’intéressé, et celle faite à celui qui obtient la conviction que les dharma ne naissent pas. p. 205

[2] Śgs, p. 216

[3] Śgs, p. 175

[4] śgs, p. 174

[5] Śgs, p. 226

[6] Śgs, p. 207

[7] Śgs, p. 222

[8] Śgs, p. 208

[9] Gyatrul Rinpoche, Oral Commentary on the Natural Great Perfection by Dudjom Lingpa, given in Boulder, 1992, trans. Sangye Khandro, ed. Ian Villarreal, later published by (Ashland, Oregon: Mirror of Wisdom Publications, 2000), 58-59 Voir aussi Du féminisme éveillé, vraiment ?

mercredi 24 février 2021

Être grand avant même la naissance


Allégorie de la naissance du dauphin, Gabriel Blanchard, Château de Versailles

Un autre signe de la brahmanisation du bouddhisme est l’invention des 32 marques du grand homme (mahāpuruṣa), qui auraient permis à un brahmane d’identifier et reconnaître le futur Bouddha comme un “grand homme”, un futur monarque universel (cakravartin) ou un Bouddha. Le “grand homme” fait à la fois allusion à l’Homme cosmique (lokapuruṣa), qui n’est autre que le corps du dieu macrocosmique, par exemple Brahma, dont sont issus les quatre castes (varṇa), et à l’incarnation humaine mâle dans son potentiel maximal et toute sa puissance, le mâle alpha ultime. C’est le charisme maximal d’un être humain.

Il semblerait que les élites bouddhistes, vivant dans une société brahmanique ou progressivement brahmanisante, aient voulu donner davantage de panache à leur Bouddha, en le dotant des marques d’un “grand homme”, concept qui aurait son origine dans les Védas, mais dont les marques (lakṣana) ont été sujet à changement, et en partie empruntées à l’astrologie mésopotamienne, grecque, indienne…, et assez tardivement.

Dans le processus de divinisation du Bouddha, celui-ci s’approche de plus en plus du modèle de l’Homme cosmique. Les “grands hommes” qui naissent, ou descendent (avatar) sur la Terre ont un lien évident avec l’Homme cosmique, et ce lien se traduit en marques, que seuls les sages savent lire et interpréter. Ce corps parfait est un corps symbolique, et ce corps symbolique est éternel et partagé/revêtu par tous les “grands hommes”. Il sera le saṃbhogakāya, qui permettra aux Bouddhas d’enseigner avant, pendant, et après leur véritable mission de Bouddha, partout et continuellement.

Ce corps faisant le lien entre le corps de l’Homme cosmique et le corps du “grand homme” incarné a tout d’un corps “astral”, et c’est l’astrologie qui permet de déterminer et interpréter ses marques dans la chair. Notamment, l’astrologie/astronomie indienne de “la deuxième période” (IVe siècle av. J.-C. au Ve siècle ap. J.-C, classement de Francis Zimmermann), “caractérisée par l'influence des astronomies mésopotamienne, puis grecque” et qui comporte des méthodes de divination et d’interprétation des signes physionomiques. Le nom “Yavanajātaka” (horoscopie des Grecs) de Sphujidhvaja (de descendance grecque) témoigne de cette influence. Mais c’est surtout un traité astrologique brahmanique (Jyotiḥśāstra) du VIème siècle, le Bṛhatsaṃhitā de Varāhamihira, qui nous renseigne sur l’interprétation des marques des hommes, des femmes et des “grands hommes”, et où l’on trouve des parallèles avec les 32 marques du Bouddha. Pour une traduction anglaise en ligne du Bṛhatsaṃhitā.
Ce Varāhamihira vécut au VIème siècle et fut influencé par le Romaka Siddhanta ("Doctrine des Romains") et le Paulisa Siddhanta, le Siddhanta de Paul qui ne serait pas le Paul d’Alexandrie (c. 378 CE), mais un autre. Il n’est pas exclu que les vedas auraient influencé les Grecs et les Romains, qui auraient influencé en retour Varāhamihira et d’autres.”[1]

Quoi qu’il en soit, par ce corps d’un “grand homme” aux 32 marques, qui n’est pas le corps physique du Boudha Śākyamuni, sa divinisation et brahmanisation est inéluctable. C’est la fin du guide humain, de la rareté de l’enseignement du Bouddha, qui est désormais disponible 24/7 pour ceux qui ont accès au saṃbhogakāya du Monde imaginal, et il n'est plus nécessaire d’attendre la venue d’un futur Bouddha. Le Bhikkhu éduqué devient l’officiant du culte du Bouddha, un prêtre, un paṇḍit versé en astrologie, divination, etc., qui sait reconnaître les “grands hommes”, les avatars, les bodhisattva, les nirmāṇakāya, les tulkus, etc., autrement dit les Nobles (ārya), qui viennent avec une mission : diffuser, maintenir et transmettre la Doctrine, qui met fin aux désordre.

C’est le caractère (vertu) qui fait le “grand homme”, et cette “vertu” est déterminée par le ciel. Voici la conception de Dante (1265-1321) au sujet

« Comment décrire la production, l’engendrement, d’un être humain ? Dante répond :
‘Je dis que quand l’humaine semence tombe dans son réceptacle, c’est-à-dire dans la matrice, elle y porte avec soi la vertu de l’âme générative, et la vertu du ciel et la vertu des éléments liés, c’est-à-dire la complexion ; et elle mûrit, disposant la matière aux influences de la vertu formative qu’apporta l’âme de l’engendrant ; et la vertu formative apprête les organes à la vertu célestiale qui, à partir de la puissance séminale, produit l’âme à la vie. Ladite âme aussitôt produite reçoit de la vertu du moteur du ciel l’intellect possible ; lequel en lui-même apporte en puissance toutes les formes universelles selon qu’elles sont dans son producteur et d’autant moins qu'il est plus éloigné de la première intelligence
.’ » Penser au Moyen-Âge, Alain de Libera, p. 279.

La vertu de l’âme générative, la vertu du ciel et la vertu des éléments. Un être humain, et donc aussi un “grand homme” est le mélange de ces trois vertus, qui ont leur puissance maximale dans le “grand homme”. La part du ciel étant déterminant pour la brillance, la noblesse, la grandeur, le charisme. Les “grands hommes” sont déjà des “grands hommes” en naissant, leurs trois vertus se déployant au fur et à mesure de leur vivant sous le regard complice des astres, quoi qu'en dise le "Machiavel de l'Inde" ("Un homme est grand, par ses actes, non par sa naissance") ...


MN 91 - Brahmāyu sutta (traduction française du site Dhammadhana)
"Le récit de Brahmāyu
Le respecté brahmane Brahmāyu a 120 ans. Il envoie son disciple Uttara voir si le Bienheureux a les 32 marques des grands hommes. Un grand homme de type laïque devient un empereur possédant les 7 trésors, mais un grand homme renonçant devient Bouddha.

Uttara voyage, trouve le Bienheureux et voit 30 des 32 marques. Le Bienheureux montre alors sa langue et permet par magie à Uttara de voir la partie cachée dans un étui. Il a donc les 32 marques au complet. Uttara suit le Bienheureux pendant 7 mois pour observer comment il se conduit, puis revient rendre compte à Brahmāyu.

Description des 32 marques, ainsi que de la façon de marcher, de regarder, d’entrer dans une maison, de s’asseoir, de laver le bol, de manger, de laver le bol de nouveau, de s’habiller, de s’asseoir pour enseigner, de parler.

Plus tard Brahmāyu peut rencontrer le Bienheureux, voit les 32 marques sauf 2, puis toutes les 32, pose une série de questions et rend de grands honneurs au Bienheureux. Celui-ci explique la générosité, la vertu, le ciel puis, quand l’esprit du brahmane est prêt, le malheur et la fin du malheur. Brahmāyu nourrit le Bienheureux et les moines pendant 7 jours. Puis il meurt en ayant atteint l’état de Sans-retour."
Pour rappel :

Le Bouddha historique a rappelé à plusieurs reprises que le véritable Bouddha/tathāgata n’était pas son corps et ses attributs (rūpakāya). « Celui qui me voit, voit le dhamma ; celui qui voit le dhamma me voit. » Le Bouddha n’est pas non plus un autre, autre que nous-mêmes. Dans le Milindapañho III.5.18 le moine Nāgasena dit : "De même on ne peut désigner le Bienheureux comme étant ici ou là. Mais il peut être désigné par le Corps de la Loi (dhammakāya) : car la Loi a été enseignée par lui." Dans les légendes des vies antérieures du Bouddha (S. avadāna T. rtogs brjod) comptées parmi les textes du mahāyāna, on trouve l'affirmation "Le Tathāgata ne peut être vu par son corps formel (S. rūpakāya)".

***

[1] Sen, Samarendra Nath; Shukla, Kripa Shankar (2000). History of astronomy in India. Indian National Science Academy. pp. 85, 114, 345. Voir mon blog Jeux d'ombres et de lumières.

mardi 23 février 2021

Sur la rareté d’une naissance humaine

Photo National Geographic, crédits : Jordi Chias

Kiccho manussapaṭilābho, kicchaṃ maccāna jīvitaṃ
Kicchaṃ saddhammasavaṇaṃ, kiccho Buddhānamuppādo
.”

Rare est la naissance comme homme, difficile est la vie que les mortels mènent, difficile est l’ouïe du Dhamma sublime, rare est l’apparition d’un Bouddha” (Dhammapada n° 182[1])
Le bouddhisme pāli est encore exempt des spéculations du bouddhisme mahāyāna, et notamment du Yogācāra. La notion du “précieux corps humain” est venue ultérieurement, pour préciser que toute existence humaine n’était pas “précieuse”, et que certaines catégories d’êtres humains étaient imperméables à l’enseignement du Bouddha et à la libération. Le “précieux corps humain” est conditionnel, et il y a une hiérarchisation de la préciosité. Le Saddharma-smrtyupasthānasūtra (tib. Dam paʼi chos dran pa nye bar bzhag paʼi mdo[2]) explique que trois catégories d’humains ne peuvent pas avoir un “précieux corps humain” : les barbares[3], les personnes aux idées erronées et les idiots. Si leur karma le permet, ces individus devront attendre une naissance humaine “précieuse”, pour avoir une chance de s’éveiller.

Le bouddhisme mahāyāna, et notamment le Yogācāra, enseigne aussi que tous les êtres (sattva) possèdent la nature de Bouddha, l’embryon du Tathāgata, etc. Cette thèse n’allait pas de soi, et avait été lourdement débattu. Car initialement chez les Yogācārins, il y eut aussi des êtres, y compris humains, qui étaient “dépourvus” (tib. rigs chad rigs skt. agotra) de cette possibilité, très semblables aux “icchantika”, “les incurables mécréants” au “karma inépuisable”, et qui ressemblaient à tous points de vue aux “barbares”, sauf qu’en théorie les barbares pouvaient évoluer spirituellement, tandis que les agotra étaient enfermés dans leur a-spiritualité, leur absence de gène spirituel. Le terme “icchantika” se retrouve notamment dans le Mahāyāna Mahāparinirvāṇa Sūtra (MMS)[4]. Le MMS semble suggérer que les “icchantika” aient pu être une catégorie spécialement inventée pour des anciens bouddhistes déchus, des apostats[5], ou pire, des bouddhistes qui opposaient les thèses du mahāyāna… Il existe des passages dans le MMS, où il est dit qu’il est légitime de tuer les “icchantika[6], “qui diffament le mahāyāna[7]. Le Yogācāra semble avoir du ressentiment envers les “icchantika”, au point de les exclure de l’éveil pour toujours. Le vajrayāna développera même des rituels pour détruire les ennemis du Dharma (tib. chos dgra), en expédiant leurs âmes au paradis. L’exégèse contemporaine précise qu’il s’agit en fait de l’ego du pratiquant… Le Kālacakra Tantra reprend le thème des “barbares” (mleccha). L’exégèse contemporaine y donne cependant une lecture différente :
Le [Kālacakra] Tantra parle aussi des Mleccha, un terme sanskrit qui signifie « barbare », au sens de « celui qui ne parle pas le sanskrit ». Entendons qui ne parle pas la langue parfaite (sens étymologique de sanskrit), seule langue dans laquelle on peut parfaitement exposer la véritable nature de l’esprit. Le Mleccha est donc l’ignorant car sa langue imparfaite ne peut être la source que d’une connaissance imparfaite. Comme la capitale des Mleccha est dans le Tantra Makha, il est tentant d’assimiler Mleccha et Musulmans. Mais Kirti Tsenshab Rinpoche a été formel en me disant de ne jamais oublier que les Mleccha sont d’abord l’ignorance en nous. Évidemment, pour l’esprit dualiste il est plus facile de dire que les Mleccha et moi font deux, ils sont musulmans et moi je suis bouddhiste. Mais le Tantra nous invite à réformer ce dualisme primaire et à considérer l’ignorance en moi que je dois combattre. En ce sens, les Mleccha sont l’ennemi que je suis pour moi-même, les trois poisons que je suis loin d’avoir éliminés.” La transmission du Tantra de Kalachakra, 01032001, Sofia Stril-Rever.
Il y a les agotra sans gènes spirituels dans le Yogācāra, les cas perdus hors-la-loi des “icchantika” du MMS, les “barbares”, qui sont tous comme les “hors-castes” des bouddhistes.
Especially remarkable in this connexion, and somewhat anomalous as a gotra, is the non-gotra, i.e. that category of persons who seem to have been considered, at least by certain Yogacarin authorities, as spiritual 'outcastes ' lacking the capacity for attaining spiritual perfection or Awakening of any kind; since they therefore achieve neither bodhi nor nirvana, they represent the same type as the icchantikas to the extent that the latter also are considered to lack this capacity.”[8]
On voit bien qu’il est facile de confondre les “barbares”, les Aspirituels (agotra) et les icchantika, considérés tous comme des infréquentables et des ennemis par les communautés bouddhistes. Comment dans la vie quotidienne faire la distinction entre ces catégories imaginaires ? Il s’ajoute à cela que les élites bouddhistes de la caste brahmane ont pour projet de présenter une doctrine bouddhique brahmano-compatible, et qu’ils tentaient de dissimuler le grand nombre de hors-castes (caṇḍāla, et leurs pratiques de charniers) parmi leurs propres rangs. Les caṇḍāla étaient les hors-caste des brahmanes, pas des bouddhistes, ce qui n’empêche pas qu’on ne les mettait pas en avant, et qu’ils étaient les servants (skt. dasa) du sangha. Ce n’étaient sans doute pas les bhikkhus brahmanes qui se rendaient aux charniers pour y récupérer les linceuls…

Les bhikkhus brahmanes étaient chargés de l’adaptation de la doctrine bouddhique, et ils y réussirent forts biens. Madhyamika et yogacārins confondus.
L’hérésie bouddhique s’était adaptée au classicisme brahmanique en se donnant une littérature sanskrite et en se confrontant avec les épopées, les purânas, les dharmaçâstras, les upanisads. Par réaction contre un Bouddhisme devenu savant et lettré, le Brahmanisme va éprouver le besoin de codifier en systèmes définitifs ses opinions jusqu’alors flottantes. De fait, les systèmes orthodoxes se fondent parallèlement au Mahâyâna. Non que la plupart ne soient beaucoup plus anciens par l’inspiration, mais leur expression se précise ne varietur en sûtras aussi condensés, aussi rigoureux que possible — forme tellement abstraite et succincte que de semblables textes requièrent aussitôt des commentaires. Plus que jamais, le Brahmanisme va prendre l’aspect d’une scolastique. Il y gagnera de se mieux défendre contre l’hétérodoxie.” L’Inde antique et civilisation Indienne, Albin Michel 1933, p. 226

Bouddhistes et brahmanes étaient alors prêts pour des échanges intenses et passionnants, en sanskrit… Voir Aux origines de la philosophie Indienne de Johannes Bronkhorst. Bodhisattvas et brahmanes polémiquaient quasiment d’égal à égal, en intellectuels, et en ārya” spirituels. Quand les uns mettaient en lumière certains manques chez les autres, ces derniers pouvaient les combler par des théories et des pratiques supplémentaires, des innovations ou des emprunts. Comme l’aurait dit Atiśa, au XIème siècle, seuls des grands experts savaient faire la différence entre le bouddhisme ésotérique indien et le brahmanisme hindouïsant. Dans ce processus, les madhyamika restèrent cependant plutôt des nāstika, tandis que les yogacārins devenaient de véritables āstika.

***

[1] Traduction Dhammapada, Les dits du Bouddha, Centre d’études dharmiques de Gretz, Albin Michel. Ce verset est aussitôt suivi de “S’abstenir de tout mal, cultiver le bien, purifier son coeur, voici l’enseignement des Bouddhas”.

[2] Traduit en français sous le titre Introduction au Compendium de la loi, L'aide mémoire de la Vraie Loi par Lin Li-kouang (1949). Il en existe une version tibétaine et chinoise.

[3] En tibétain kla klo, en sanskrit mleccha, qui signifie “barbare non-Arya ; étranger ; hors-caste ; infidèle | ignorance du sanskrit ; faute, barbarisme | pl. mlecchās les barbares, les étrangers.
gomāṃsakhādako yastu viruddhaṃ bahubhāṣate sarvācāravihīnasya mleccha iti abhidhīyate [Baudhāyana] Celui qui mange de la vache, qui parle avec hostilité et dont tout le comportement est vulgaire, on l'appelle un barbare”. Dictionnaire Héritage du Sanscrit

[4] The Problem of the Icchantika in the Mahāyāna Mahāparinirvāṇa Sūtra, Ming-Wood Liu.

[5]This person (the icchantika) originally worshipped the threejewels and various devas, but has changed since then, and now worships his own desires [instead]. He loved to give alms in the past but has now become miserly. He was by nature moderate in his diet, but has now turned gluttonous. He had an ingrained aversion for evils, but nowlooks on them with sympathy. He was born filial and esteemed his parents, but now he has no thought of respect for his father and mother.” tr. Ming-Wood Liu.
“Good sons! For six reasons, the icchantika and his kind are bound to the three evil ways and cannot be set free. What are these six?
i. Because they are intense in their evil thoughts.
ii. Because they do not believe in after-life.
iii. Because they enjoy practising defiled [deeds].
iv. Because they are far removed from good roots.
v. Because they are obstructed by evil karma.
vi. Because they seek the company of bad friends.
Again, for five [kinds of misconduct, they are bound to the three evil ways. What are these five?
i. Because they misbehave in relation to monks.
ii. Because they misbehave in relation to nuns.
iii. Because they misappropriate the properties of the sangha.
iv. Because they misbehave in relation to womankind,
v. Because they instigate disputes among the five groups in the sangha.
Again, for five [kinds of misconduct, they are bound to the three evil ways. What are these five?
i. Because they often declare that there are neither good nor bad fruits,
ii. Because they kill sentient beings in whom the thought of enlightenment has arisen.
iii. Because they like to talk about the shortcomings of their teachers,
iv. Because they call the true untrue, and the untrue true,
v. Because they listen to and receive the Dharma only to find fault with it.
Again, for three kinds of misconducts, they are bound to the three evil ways:
i. They maintain that the Tathāgata is impermanent and is annihilated forever [at death],
ii. They maintain that the true Dharma is impermanent and mutable,
iii. They maintain that the saiigha, [the third of the three] jewels, can be destroyed.
As a consequence, they are forever bound to the three evil ways
.” Ming-Wood Liu

[6] “Just as no sinful karma [will be engendered] when one digs the ground, mows grass, fells trees, cuts corpses into pieces and scolds and whips them, the same is true when one kills an icchantika, for which deed [also] no sinful karma [will arise].” MMS, traduit dans The Problem of the Icchantika in the Mahāyāna Mahāparinirvāṇa Sūtra, MW Liu.

[7] The Awakening of Faith In Mahayana (Ta-ch'eng ch'i-hs in lun), A Study of the Unfolding of Sinitic Mahayana Motifs, thèse de Whalen Wai-l un Lax, p.24

[8] The Meanings of The Term Gotra and the Textual History of the Ratnagotra Vibhaga, D. Seyfort Ruegg



dimanche 21 février 2021

Le Mahāyāna, un retour au Brahmanisme ?


Brahma et Indra (auréolés) demandent au Bouddha (entouré de 5 moines), d'enseigner sa doctrine. Avec un inconnu illustre, Vajrapāṇi ? (Gandhara, courtesy Christian Luczanits)

C’est sous le règne du roi kouchan Kaniṣka (IIème s.) que le bouddhisme avait pris son essor au Gāndhāra. Sa capitale se trouva à Puruṣapura (Peshawar). C’est une région naguère hellénisée, qui, entre le Ier et le VIème siècle après Jésus-Christ, subit des influences grecques, sémitiques, iraniennes, chinoises etc. C’est là aussi que la tradition fait naître officiellement le bouddhisme mahāyāna, en attribuant un rôle important à Aśvaghoṣa (tib. rta dbyangs), contemporain du roi Kaniṣka. Aśvaghoṣa était un brahmane originaire de Sāketa (Ayodhya, Uttar Pradesh), converti au bouddhisme, et aurait été un conseiller religieux de Kaniṣka. Il aurait également été présent au quatrième Concile du Cachemire[1]. Il est surtout connu pour être l’auteur du Buddhacarita, la plus célèbre vie du Bouddha. D’autres oeuvres lui sont attribués parfois, mais ne sont très probablement pas de sa main. Notamment le Mahāyāna-śraddhotpādaśastra (Traité de la Naissance de la foi dans le Grand Véhicule), qui serait un apocryphe chinois. Il en va de même pour le “Sūtrālamkāra[2], traduit en chinois par Kumārajīva en 405, mais qui serait en fait un oeuvre composé par Kumāralāta, un contemporain plus jeune d’Aśvaghoṣa, et dont le titre aurait été le Kalpanāmaṇḍitikā[3].
Le Sūtrālamkāra témoigne d'un esprit nouveau : l'intention de mettre en littérature le contenu de sûtras bouddhiques, pour propager la foi du Bouddha dans l'élite brahmanique.”[4]
Le titre de l’oeuvre attribué à Asaṅga/Maitreya, Mahāyāna-sūtrālamkāra, aurait été inspiré du “Sūtrālamkāra” faussement attribué à Aśvaghoṣa[5]. On attribue parfois encore, à tort, à Aśvaghoṣa “Les Cinquante stances du service au Maître (skt. Gurupañcaśika tib. bla ma lnga bcu pa), un texte médiéval bouddhiste ésotérique. C'est son rôle prépondérant dans les origines du mahāyāna, qui le rend populaire parmi les auteurs d'apocryphes.
[Aśvaghoṣa] fut l’initiateur et pratiquement le seul représentant des épopées lyriques d'inspiration bouddhique. Son Buddhacarita et son Saundarananda se situent sur le plan du mahakāvya classique. Les parties scolastiques demeurent fidèles au vocabulaire et à la phraséologie traditionnelle; les parties narratives et descriptives abondent en images brillantes, en figures de style, en mètres compliqués et en formes grammaticales savantes. L'auteur semble avoir voulu éblouir ses coreligionnaires moins instruits par tout le déploiement de la virtuosité brâhmanique. Sa recherche de l'effet, sa concision poussée jusqu 'à l'obscurité laissent l'impression d'un art décadent”. (Note : Sur le côté pédant d'Aśvaghoṣa, L. RENOU, Inde Classique, II, p. 205-207; Hist. de la langue sanskrite, p. 212). Histoire, Lamotte, p. 655

Requête d'enseignement au Bouddha, représenté par un disque solaire, Gandhara, Kouchan, I-IIème s., British Museum

Les représentations du Bouddha étaient au départ aniconiques ou symboliques. Le Buddhacarita le présente comme un grand homme” (mahāpuruṣa), aux 32 marques (lakṣana), tels qu’ils sont également expliqués dans le Bṛhat-Samhita du brahmane maga Varāhamihira (VIème)[6]. L’astrologie donne ainsi un corps “astral” au Bouddha, qui le rend atemporel, et qui permettra sa brahmanisation, avatarisation et divinisation. Il s’agit en effet de rendre le Bouddha et le “bouddhisme” brahmano-compatible. Les élites bouddhistes brahmanes du Gāndhāra ont géré ce projet d’une main de maître. Asaṅga reprit le projet en mains pendant toute la première moitié du Vème siècle. Les données biographiques les plus plausibles sont sans doute celles que l’on trouve dans la “Vie de Vasubandhu[7] écrite au VIème siècle par le moine Paramārtha (499-569), originaire d’Ujjayinî. Asaṅga naquit dans la ville de Puruṣapura (Peshawar), au Gāndhāra, dans une famille brahmane. A partir de là, la biographie se transforme en hagiographie. Asaṅga monte au ciel Tuṣita où réside le Bodhisattva Maitreya et reçoit de lui des enseignements mahāyāna de Maitreya (que la tradition tibétaine appelle les Cinq traités de Maitreya), qu’Asaṅga commenta. Il est évident que le bouddhisme est désormais passé à autre chose en ce qui concerne l’origine de ses dialogues (sūtra) avec l’Éveille et les futurs Éveillés (bodhisattva).
Lorsque, dans le Mahāyāna, le Bouddha devient, par une sorte de retour tacite au Brahmanisme, un quasi-ātman éternel, le nirvāna apparaît comme un caractère permanent de cet absolu. Acquérir la délivrance équivaut donc à rejoindre le Bouddha, ce qui peut se prendre en termes de piétisme comme un ravissement dans l’amour divin, ou, en termes d’eschatologie, comme l’accès à un Paradis, la « Terre Pure». Ainsi, au lieu que le salut consiste à dépouiller toute sensibilité en rejetant l’égoïsme comme dans les premiers âges de la religion bouddhique, il se contamine de dévotion sentimentale et dégénère en recherche du bonheur.”[8]
En dépit des données hagiographiques sur Asaṅga, le colophon sanskrit du Mahāyāna-sūtrālamkāra indique que le texte a été « énoncé » (bhāṣita) “par le grand Bodhisattva Vyavadātasamaya[9]. Pour Paramārtha et des traducteurs chinois du Vème siècle, le Yogācāryabhūmiśastra était le seul traité révélé, mais c’était bien une révélation (śruti), donné par le futur Bouddha Maitreya, dans le ciel de Tuṣita à bodhisattva Asaṅga, qui y était "monté" selon la tradition ultérieure. Le Yogācāra, qui est beaucoup plus qu’un simple point de vue “idéaliste” bouddhiste, a permis de transformer le bouddhisme en véritable religion au même titre que le brahmanisme, qu’il prend pour modèle. Quand Atiśa, déjà au Tibet, donc après 1042, apprit la mort de Maitrīpa, il pleura. C'était, expliqua-t-il, parce qu'il n'y avait que deux personnes au monde qui savaient faire la différence entre le bouddhisme et l'hindouisme, Maitrīpa et lui-même (voir Le biculturalisme de Maitrīpa). Maitrīpa, source de l’approche de la “mahāmudrā naturelle”, avait pour vue la voie du Milieu qui ne se fonde sur rien, l’apratiṣṭhāna-madhyamaka” (tib. dbu ma rab tu mi gnas pa)[10], et qui se distancie des méthodes Yoguiques, tout en partageant la même vérité conventionnelle, et en étant activement engagé dans le monde. Contrairement au Yogācāra, ce Madhyamaka n’a pas de révélations, et ne penche pas vers l’être, des essences et des existences, quoiqu’en dise la tradition hagiographique.

L’idéal du bouddhisme mahāyāna est le bodhisattva, dont le statut diffère totalement, selon que l’on s’appuie sur le Madhamaka (Nāgārjuna) ou sur le Yogācāra (Asaṅga). Le mahāyāna tente de résoudre la contradiction en alliant les deux : sagesse et expédients, sagesse et compassion/engagement, méditation et post-méditation (=activités religieuses, tib. chos spyod), vérité absolue et vérité conventionnelle symbolique ou idéologique.

Le bouddhisme Yogācāra, et encore davantage le bouddhisme tantrique qui en est un prolongement, tente de remplir entièrement, voire de recouvrir (“transmuter”) la vérité conventionnelle “ordinaire” par des symboles. La pratique (sādhana) consiste en cela. Le pratiquant, pour qui la vérité conventionnelle ou empirique est devenue toute symbolique, a la vision “pure” (tib. dag snang), ou épiphanie/théophanie. Le mot “dag pa” en tibétain peut se traduire aussi par “symbolique”, notamment dans l’explication des symboles d’une divinité et de ses attributs[11].

Le point de vue madhyamika peut se combiner avec une “troisième” vérité symbolique (religieuse), mais n’en a pas besoin ; la vérité conventionnelle “ordinaire” lui suffit. Celle-ci sera déjà forcément symbolique et idéologique, mais non nécessairement religieuse. L’éveil (l’union des deux vérités, la non-dualité, le non-fondement dans un aucun extrême, …) est possible sans couche religieuse et sans projet religieux. Une partie importante de l’éveil est la “déconstruction”, ou un “desserrement” de l’idéologie dans laquelle nous vivons, qu’elle soit religieuse ou non. Sinon, au moins la lucidité par rapport à son pouvoir envoutant. C’est pourquoi le bouddhisme enseigne que les choses (composés) sont impermanents, imparfaits et non substantielles. Cela s’applique également à tout projet religieux, y compris bouddhiste. Ces trois caractéristiques fournissent “la vacuité” dont aurait besoin “la méthode”, toute méthode. Après, on peut se demander quelle est l’utilité ou la nécessité d’une méthode, dans la perspective de l’éveil, surtout si elle consiste à ajouter une autre couche symbolique, même si l’on prétend que cette couche est en fait sous-jacente, plus profonde, et que celle qui la recouvre est plus superficielle. Ce n’est qu’une astuce, comme l’est l’affirmation “Il ny a pas dalternative”. Si on y croit, c’est tout bénef pour les propagateurs de la méthode.

In ‘Buddha in Gandhara’, Sunita Dwivedi writes about how Durga sculptures and paintings were found in Buddhist monasteries.

"It is possible that the Hindu Shahis installed Durga’s image in the Buddhist monastery. It is a good example of the absorption of Hindu deities in the Buddhist pantheon, and also points to the fact that Buddhist shrines were converted into Hindu shrines. This has been discussed by Indologist and art historian P. Banerjee in New Light on Central Asian Art and Iconography. In his interesting study, Banerjee explains that though subordinate in position, these Hindu deities made their original importance felt now and then even in the Buddhist framework. 

Banerjee presents several examples of the popularity of Shaivism in Central Asia and about Buddhist scholars such as Asanga and Aryadeva who tried to assimilate Hinduism and Buddhism. It is generally believed that Asanga, the well-known Buddhist philosopher from c.ad 400, created an amalgam of Shaivism and Buddhism, as Aryadeva did in bringing Vaishnavism and Buddhism together. Banerjee, says that Asanga tried to reconcile ‘two opposing myths by placing a number of Saiva gods, both male and female in the inferior heavens of the prevalent Buddhism as worshippers and supporters of Buddha and Avalokitesvara’.

According to Banerjee, Asanga by reconciling Shaivism and Buddhism made it possible for: 
[T]he half-converted and rude tribes to remain Buddhists while they brought offerings to their more congenial shrines and while their practical religion had no relation at all to the truth of the noble Eightfold path.’ "  

***

[1] Celui-ci avait donné lieu à la composition de l’Abhidharma Mahāvibhāṣa Śāstra attribuée à Katyāyāniputra. Comme les Sarvāstivāda du Cachemire considéraient le Mahāvibhāṣā comme une autorité canonique, ils furent appelés Vaibhāṣikas, "ceux qui suivent le Vibhāṣa". Vasubandhu en avait fait un Kośa (Sautrāntika).

[2] Le Sūtrālamkāra traduit en français sur la version chinoise de Kumârajiva par Ed. Huber, Paris 1908. Cf. La Vallee Poussin in Le Museon, N. S, X, 1909, 86 ff. Je reprends la note telle quelle ici.

[3] A History of Indian Literature, Volume 21, Moriz Winternitz.

[4] L’Inde antique et civilisation Indienne, Albin Michel 1933, p. 217
L’hérésie bouddhique s’était adaptée au classicisme brahmanique, en se donnant une littérature sanskrite et en se confrontant avec les épopées, les purānas, les dharmaśāstras, les upaniṣads.” p. 226

[5] L’Inde antique et civilisation Indienne, Albin Michel 1933, p. 218
Ce livre m'impressionne assez pour une publication datant de 1933. Il y a des faits qui ont été rattrapés dans des publications plus récentes, mais je trouve les jugements des auteurs généralement justes.

[6] Le Brihat Samhita est un livre d’astrologie qui explique l’influence des astres sur la terre, les animaux, les hommes, les grands hommes (mahāpurusa), les signes fastes et néfastes etc. Le chapitre sur les signes du grand homme est le chapitre LXIX (Signes des hommes p. 542, Signes des grands hommes p.567 ).

[7] Note de Sylvain Levi :
Cette biographie, résumée par Wassilieff, Buddhismus, p. 235 sqq., a été traduite intégralement par Takakusu : The life of Vasubandhu by Paramârtha, dans le T’oung-pao, 1904. Les questions qu’elle soulève et qu’elle résout en partie ont été discutées par le même savant : A Study of Paramârtha’s Life of Vasubandhu and the date of Vasubandhu, dans J. R. A. S. 1905. Cf. aussi, du même, La Sâṅkhya-kârikâ, etc. dans B. E. F. E. O. 1904, 1-65.”

[8] L’Inde antique et civilisation Indienne, Albin Michel 1933, p. 225

[9] Note de Sylvain Levi :
Ce colophon est reproduit par le traducteur chinois et le traducteur tibétain ; il est donc certainement très ancien, s’il ne remonte pas même jusqu’à l’original. Je n’ai pas retrouvé ailleurs un Bodhisattva de ce nom ; il est impossible de dire si cette désignation s’applique à Maitreya, à Asaṅga, ou à tout autre personnage, soit fictif, soit réel.”
“L’Indien Prabhâkara-mitra, auteur de la traduction chinoise (entre 630 et 633 J. C.), assigne le M. S. A. à Asaṅga, qu’il qualifie expressément de « Bodhisattva ». La préface de la traduction, due à Li Pe-yo (l’auteur du Pe-Tsin chou) répète et confirme cette attribution, sans faire allusion à une révélation surnaturelle. Mais, à cette époque même, Hiuan-tsang apprend dans les couvents de l’Inde à classer le M. S. A. parmi les textes sacrés révélés à Asaṅga par Maitreya. Jusque-là, au témoignage de Paramârtha et des traducteurs chinois du Ve siècle, le Saptadaçabhûmi çâstra (ou Yogâcâryabhûmi çâstra) avait seul passé pour révélé
.”

[10]Ceux qui souhaitent connaître le Réel
N'y arriveront ni avec ni sans les formes mentales/représentations (S. ākāra)
La voie du Milieu qui n'est pas ornée des instructions du Guide [ngo sprod]
N'est que la voie du Milieu intermédiaire
Les dix versets sur le Réel (Tattvadaśaka)

[11] Voir Analyse du mysticisme de Mme Guyon par Henri Delacroix, et mes blogs La vision et les vues, Limitation peut-elle être une voie spirituelle ? et Le château endormi.

jeudi 18 février 2021

Les premiers de cordée du rêve réincarnationnel


Le système des 4 castes, plus les dalits hors-castes et intouchables

Le mouvement des Renonçants (śramaṇa) est apparu dans un environnement brahmanique et/ou a co-existé avec celui-ci. Ces Renonçants furent de différents bords. A en croire le canon pāli, ils eurent de nombreux échanges, et passèrent assez facilement d’un bord à l’autre. C’est ainsi qu’au Magadha, le Bouddha aurait attiré les deux amis Ājīvika Sariputta et Kolita (Moggallana), qui avaient rejoint son Saṅgha

Pendant une assez longue période, les “bouddhistes” (nom apparu en Occident au XIXème siècle), furent désignés par le terme “śramaṇa”, sarmanes”, “shammanes, “Samanéens”, "le culte de FE, FO, FOÉ", etc.. Les différents maîtres śramaṇa eurent des différentes théories et pratiques, mais cherchaient tous la libération (mokṣa) du Cycle des existences (saṃsāra). Or, l’idée du tourbillon des existences était partagée dans le périmètre indien, y compris dans les milieux brahmaniques. Cette idée (“transmigration”) faisait partie du système saṁsāra-karma-mokṣa (SKM), où une « âme » est prisonnière, tant qu’elle perpétue les actes (karma) qui la tiennent prisonnière du cycle. Une fois débarrassé de tout combustible (karma), il n’y a plus de naissance. C’est ce que les śramaṇa appellent « libération » (skt. mokṣa) ou « extinction » (skt. nirvāṇa).

Quelle que soit l’origine de l’idée de la transmigration[1], l’Inde brahmanique se l’est bien appropriée, et l’a utilisé pour justifier le système des castes (les varṇa et les jāti).
Le Rig-Véda (X, 90, 12) explique que l'homme primordial (puruṣa ) donne naissance aux quatre varṇa : « Le brahmane fut sa bouche ; le royal (rājanya, équivalent de kṣatriya) a été fait ses bras ; ce qui est ses cuisses, c'est le vaiśya ; de ses pieds le śūdra est né.”[2]
La plus ancienne référence à l’introduction de l’idée de renaissance et de rétribution karmique dans le brahmanisme se trouverait dans trois upaniṣad (Bṛhadāraṇyaka, Chāndogya et Kauṣītaki), et notamment dans l’histoire de l’instruction de Śvetaketu par son père Uddālaka[3]. Le brahmanisme avait progressivement évolué d’un système sacrificiel ritualiste, qui avait pour but de créer et maintenir l’ordre cosmique grâce à l’exactitude rituelle (karma), et plus tard à la connaissance salvifique de l’équation Brahma = ātman[4]. Le Brahma étant le verbe védique, et les brahmanes (né de la bouche de l’homme primordial) représentant l’essence de la caste brahmanique, ces derniers étaient les uniques détenteurs “des opérations religieuses conservatrices de l’ordre cosmique et héritier[s] exclusif[s] de la science védique”[5]. On devint brahmane par hérédité, à la suite d’une initiation, ou par adoption. Ceux qui naissent sept fois de suite dans la caste des brahmanes (tib. skye ba bdun pa), du côté du père, et dans une “matrice pure”, sont des êtres particulièrement avancés[6]. Ceux, naissant ainsi dans une bonne famille brahmane ont donc beaucoup de “mérite”, car cela n’est pas une question de chance[7]. Cela restera vrai, même quand le yoga/la méditation devient un succédané du culte, et sera considéré comme “plus efficace que le rite même”[8]. Le rôle des brahmanes viendrait de leur passé de prêtres védiques Aryens (Ārya, Airiya), ou Indo-Iraniens. Cette “noblesse” autodésignée impliquait également en creux l’idée de ceux qui n’étaient pas “nobles”, et qui furent appelés “Dāsa” ou “Dasyu”, dont le sens védique le plus ancien signifierait “sauvage”, “barbare”, “démon”, “ennemi”, et plus tard “esclave”, servant”, voire “dévot” de Dieu, dans un sens plus positif, du dévot se remettant entièrement à Dieu, ou à une autre cause (p.e. “Buddhadasa”).

Il n’est pas très difficile de déterminer par recoupements que ces “Dāsa” avaient de nombreux points en commun avec les śūdra et les dalits hors-castes ultérieurs. Il y a aussi des différences. Un esclave (dāsa) ne peut pas devenir un bhikkhu[9]. En même temps, lArthaśāstra de Kautilya, précise que l’on ne peut pas faire n’importe quoi[10] avec un esclave, notamment le faire transporter des corps, car cela est réservé aux caṇḍāla (“mangeurs de chien”, śva-paco), les seuls à être impurs au point de pouvoir toucher les corps des morts. En revanche, les nombreux caṇḍāla hors-castes dans le Sangha bouddhiste faisaient des pratiques ascétiques impures (notamment liées aux charniers, p.e. la récupération des linceuls pour en faire des habits : pāṃśukūlika[11]). Ce qui nous intéresse ici, c’est comment les élites bouddhistes, souvent de naissance brahmanes, ont tenté de dissimuler ces pratiques “impures”, ainsi que le grand nombre de caṇḍāla intégré dans, et donc contaminant, le Sangha bouddhiste, afin de ne pas perdre en crédit face aux élites brahmaniques d’autres sectes, qui furent également les élites de la société indienne. Il est probable que cette attitude des élites bouddhistes ait conduit à des rapprochements progressifs entre le bouddhisme et le brahmanisme, puis l’hindouisme, notamment au niveau de la progression “spirituelle”, et de la hiérarchie (castes, etc.) que cette différence de progression instaure parmi les fidèles et les sujets. Ces rapprochements ont conduit à une réhabilitation ou une sorte de retour de lidée debien naître dans le bouddhisme mahāyāna. Le bouddhisme mahāyāna instaure une hiérarchie par rapport au bouddhisme des auditeurs (śrāvakayāna), appelé “petit véhicule” (hinayāna). Les pratiques du “petit véhicule” seraient inférieures à celles du “grand véhicule”. Contrairement aux textes des auditeurs, qui sont rédigé en pāli, les textes du mahāyāna sont souvent rédigés en sanskrit (ou en des langues non-indiennes, traduits etc.). C’est avec l’avènement du Yogācāra, que le bouddhisme brahmano-compatible se dota de moyens puissants, pour tenter de gravir les marches de la société indienne. Le bodhisattva sera un alternatif digne (Ārya) du brahmane.

Le bodhisattva est bien-né.
Il récite, lit et écrit en sanskrit.
Il se distancie des pratiques du hinayāna en les incluant, tout en les réinterprétant.
Dans sa version Yogācāra, il atténue la doctrine du non-soi, en introduisant celle de “l’embryon du Tathāgata”.
Par sa pratique du “Yoga”, de la méditation, et plus tard des tantras, il est détenteur “des opérations religieuses conservatrices de l’ordre cosmique et héritier exclusif d’une Gnose, qui se transmet.

A la fin du premier millénaire, nous retrouvons des dynasties de bodhisattvas, nés dans la caste des brahmanes, à la tête de vihāra bouddhistes tantriques, qui seront en quelque sorte abbé de père en fils. La qualité requise pour gérer un monastère bouddhiste semble être la naissance dans une bonne famille, quasiment propriétaire du monastère. Ce sera le modèle pour bon nombre de vihāra bouddhistes au Népal, au Tibet et dans la religion himalayenne. Les familles de bodhisattvas-tulkus, tels que nous les connaissons, sont comparables à une caste d’officiants sacerdotaux. Que leur reste-t-il des śramaṇa d'origine ?

Quand on regarde les théories et pratiques optionnelles des śramaṇa des débuts, on voit que leurs différentes sectes choisissent différentes options doctrinaires (deva, ātman, karma, substantialité, permamence et impermanence…) . Ils semblent avoir eu en commun de ne pas s’appuyer sur le système des castes et d'être considérés comme des matérialistes, des athéistes, des nihilistes (nāstika). Le Bouddha enseigne que l’on ne naît pas brahmane, mais qu’on le devient en se comportant comme “un vrai brahmane” (Dhammapada). Il ne nie pas la réalité sociale de la naissance en telle ou telle caste, seulement cette naissance n’a aucun lien avec le fait de devenir un “vrai brahmane” ou non. La libération ne passe pas par le culte de Brahma, ni par l’union avec Brahma à la fin de sa vie de pieux brahmane. La pureté qu’il recommande est la purification de l’esprit. Le karma qui détermine la prochaine naissance n’est pas l’acte rituel et l’exactitude rituelle, mais le résultat des bons et mauvais actes intentionnels.

Dans la pratique actuelle, l’idéal du bodhisattva-tulku est comparable au “statut de brahmane” (brahmanité, Brahminhood), qui est lidéal humain en Inde” (Vivekananda[12]). Les maîtres bouddhistes tibétains ne doivent pas être mécontents de la tendance hindutva actuelle, dont le mécanisme “méritocratique” se situerait à un niveau métaphysique, hors du contrôle et de l’entendement du monde. Au même niveau que les idéologies des premiers de cordée, de ruissellement, “la main invisible de Jupiter” (Adam Smith[13]). 
« Le produit du sol fait vivre presque tous les hommes qu'il est susceptible de faire vivre. Les riches choisissent seulement dans cette quantité produite ce qui est le plus précieux et le plus agréable. Ils ne consomment guère plus que les pauvres et, en dépit de leur égoïsme et de leur rapacité naturelle, quoiqu'ils n'aspirent qu'à leur propre commodité, quoique l'unique fin qu'ils se proposent d'obtenir du labeur des milliers de bras qu'ils emploient soit la seule satisfaction de leurs vains et insatiables désirs, ils partagent tout de même avec les pauvres les produits des améliorations qu'ils réalisent. Ils sont conduits par une main invisible à accomplir presque la même distribution des nécessités de la vie que celle qui aurait eu lieu si la terre avait été divisée en portions égales entre tous ses habitants ; et ainsi, sans le vouloir, ils servent les intérêts de la société et donnent des moyens à la multiplication de l'espèce. »
— Adam Smith, 1999 [1759], Théorie des sentiments moraux, Léviathan, PUF, p.257


***


[1] Renonçants, influence du zoroastrisme, mythe malayo-polynésien ou suméro-dravidien, … LInde antique et civilisation Indienne, Albin Michel 1933, pp. 161 etc.

[2] Jean Filliozat dans « Castes », sur Encyclopædia Universalis

[3] Voir Aux origines de la philosophie indienne, Johannes Bronkhorst, Infolio 2008, p. 44

[4]The only escape from this cycle of rebirth is by gnosis of, hidden truth, brahman, which is the esoteric meaning of the sacred texts (the Vedas). That truth is to be realised = understood during life, and this will lead to its being realised = made real at death. He who understands brahman will become brahman. In a less sophisticated form of this doctrine, brahman is personified, and the gnosis at death joins Brahman somewhere above the highest heaven.” How Buddhism began, Richard F Gombrich, p. 32

[5] Aux origines, p. 157

[6] Voir 192. With the Brahmin Doṇa (AN 5.192), traduit en anglais par Bhikkhu Sujato
Doṇa, how is a brahmin equal to Brahmā?

It’s when a brahmin is well born on both the mother’s and the father’s sides, coming from a clean womb back to the seventh paternal generation, incontestable and irreproachable in discussions about ancestry. For forty-eight years he lives the spiritual life, from childhood, studying the hymns. Then he seeks a fee for his teacher, but only by legitimate means, not illegitimate.

In this context, Doṇa, what is legitimate? Not by farming, trade, raising cattle, archery, government service, or one of the professions, but solely by living on alms, not scorning the alms bowl. Having offered the fee to his teacher, he shaves off his hair and beard, dresses in ocher robes, and goes forth from the lay life to homelessness.

Then they meditate spreading a heart full of love to one direction, and to the second, and to the third, and to the fourth. In the same way above, below, across, everywhere, all around, they spread a heart full of love to the whole world—abundant, expansive, limitless, free of enmity and ill will. They meditate spreading a heart full of compassion … rejoicing … equanimity to one direction, and to the second, and to the third, and to the fourth. In the same way above, below, across, everywhere, all around, they spread a heart full of equanimity to the whole world—abundant, expansive, limitless, free of enmity and ill will. Having developed these four Brahmā meditations, when the body breaks up, after death, they’re reborn in a good place, a Brahmā realm.

That’s how a brahmin is equal to Brahmā
.”

[7]As Manu says, all these privileges and honours are given to the Brahmin, because “with him is the treasury of virtue”. He must open that treasury and distribute its valuables to the world. It is true that he was the earliest preacher to the Indian races, he was the first to renounce everything in order to attain to the higher realisation of life before others could reach to the idea. It was not his fault that he marched ahead of the other caste. Why did not the other castes so understand and do as he did? Why did they sit down and be lazy, and let the Brahmins win the race?Vivekananda, THE FUTURE OF INDIA

"Besides this doctrine of revolution Vivekananda’s expressions about undiluted karma inspire great expectations about human possibility. "If what we are now has been the result of our own past actions, it certainly follows that whatever we wish to be in the future can be produced by our present actions; so we have to know how to act.” (CkV I, 31) “It [future possibility) depends on the intensity of the desire." (CW VII, 97) “You have taken fate in your own hands. Your Karma has manufactured for you this body, and nobody did it for you.” (CW 111, 161) Swami Vivekananda's Conception of Karma and Rebirth, George M Williams, extrait de Karma and Rebirth: Post Classical Developments,
Calgary Conference on Karma and Rebirth, Post-Classical Developments (1982 : University of Calgary)

[8] Aux origines, p. 157

[9]dāso na pabbājetabbo” Vinaya Pitakam i.93, Digha Nikaya, Majjhima Nikāya, le Bhiksukarmavakya et l’Upasampadajnapti tibétains, car un esclave est la propriété dun autre.

[10]Employing a slave (dasa) to carry the dead or to sweep ordure, urine or the leavings of food; keeping a slave naked; hurting or abusing him; or violating the chastity of a female slave shall cause the forfeiture of the value paid for him or her. Violation of the chastity shall at once earn their liberty for them.” traduction de Shamasastry.

[11] Living with the Dead as a Way of Life: A Materialist Historiographical Approach to Cemetery Asceticism in Indian Buddhist Monasticisms, Nicholas Witkowski, 2019, Journal of the American Academy of Religion. Voir aussi Cross-Dressing with the Dead, Gregory Schopen, 2007. Titre complet : Cross-Dressing with the Dead: Asceticism, Ambivalence, and Institutional Values in an Indian Monastic Code (pp. 60-104) Gregory Schopen From: The Buddhist Dead: Practices, Discourses, Representations, University of Hawai'i Press (2007)

[12]But if the present degraded condition is due to their past Karma, Swamiji, how do you think they could get out of it easily, and how do you propose to help them?"

The Swamiji readily answered "Karma is the eternal assertion of human freedom. If we can bring ourselves down by our Karma, surely it is in our power to raise ourselves by it. The masses, besides, have not brought themselves down altogether by their own Karma. So we should give them better environments to work in. I do not propose any levelling of castes. Caste is a very good thing. Caste is the plan we want to follow. What caste really is, not one in a million understands. There is no country in the world without caste. In India, from caste we reach to the point where there is no caste. Caste is based throughout on that principle. The plan in India is to make everybody a Brahmin, the Brahmin being the ideal of humanity. If you read the history of India you will find that attempts have always been made to raise the lower classes. Many are the classes that have been raised. Many more will follow till the whole will become Brahmin. That is the plan. We have only to raise them without bringing down anybody. And this has mostly to be done by the Brahmins themselves, because it is the duty of every aristocracy to dig its own grave; and the sooner it does so, the better for all
.” The Abroad And The Problems At Home (The Hindu, Madras, February, 1897)

[13] « Car il peut être observé que dans toutes les religions polythéistes, parmi les sauvages comme dans les âges les plus reculés de l'Antiquité, ce sont seulement les événements irréguliers de la nature qui sont attribués au pouvoir de leurs dieux. Les feux brûlent, les corps lourds descendent et les substances les plus légères volent par la nécessité de leur propre nature ; on n'envisage jamais de recourir à la « main invisible de Jupiter » dans ces circonstances. Mais le tonnerre et les éclairs, la tempête et le soleil, ces événements plus irréguliers sont attribués à sa colère. »
— Adam Smith « History of Astronomy », 1755~, in W.P.D Wightman and J.C Bryce (eds), Adam Smith Essays on Philosophical Subjets, Clarendon Press, 1981, p. 491 (Wikipédia)