La pleine conscience peut-elle casser des briques ?[1]
(légende d’origine : "Il existe des mécanismes sous-jacents par lesquels la pleine conscience améliore la performance au travail" Fizkes / Shutterstock) |
J’ai eu connaissance de cet article The Conversation (“L’expertise universitaire, l’exigence journalistique”) par un lien sponsorisé. Un des très nombreux articles sur les bienfaits de la Pleine Conscience (PC), notamment dans le monde du travail. Les auteurs déclarent n’avoir aucun intérêt autre que leur intérêt pour ce domaine.
“Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.”Il est indiqué en fin d’article[4], qu’il s’appuie sur un “article de recherche” par les deux auteurs de l’article français et Jessica Mesmer-Magnus du département de Management de l’Université de North Carolina. Cet article a pour titre “How does mindfulness affect performance? The mediating role of workaholism and work-family conflict” et avait été accepté “à la conférence SIOP (avril 2020, Austin, Texas, États-Unis)”, laquelle avait été annulée pour cause de coronavirus le 15 mars 2020. C’est probablement dans cet article (pas (encore) disponible sur Internet), que l’on trouve les résultats de “l’étude menée auprès de plus de 800 salariés européens” auquel font référence les deux auteurs. Elle montrerait “une relation positive et significative entre la pleine conscience et la performance au travail.”
La question que je me suis posé en lisant l’article c’est ce qu’englobe la “Pleine conscience” pratiquée par les (800) salariés. S’agit-il de 10 minutes (ou plus) d’une pratique de méditation au travail, le matin chez soi, un stage, sur quelle durée … ? Quelle pratique de PC produit les bienfaits dont il est question dans l’article ? Dans un autre article (10/04/2019) par les deux mêmes auteurs, Manager les millennials grâce à la méditation de pleine conscience, c’est la formation au programme MBSR (Mindfulness-Based Stress Reduction)[5] de Jon Kabat-Zinn, qui est présentée. Il me semble peu probable que les 800 salariés aient suivi cette formation, mais ce n’est pas non plus impossible.
A force de lire ce genre de titres, on finit par intégrer le message que la Pleine Conscience est bon pour nous, mais quand on nous présente un énième article sur “les bienfaits de la Pleine Conscience”, il n’est pas toujours clair de quelle forme de pratique et de quelle fréquence, durée etc. il s’agit. Qui s’est chargé d’instruire et de suivre les 800 salariés ? Qui finance ce genre de recherches ? Il y a beaucoup de recherches dans ce domaine, la grande majorité faite par des personnes ayant fait des études de management ou travaillant dans le management (faites une recherche sur Researchgate, le nombre est impressionnant). Nous savons que Google était interessé par la PC, que la méditation est désormais un marché sans pardon, que le bonheur auquel il conduit intéresse les chercheurs, qu’il combat le stressime, et qu’il est un outil privilégié pour préparer les “acteurs de changement” de demain. Des philanthropes de l’USA et d’ailleurs sont prêts à mettre leur main dans la poche pour le changement qu’ils ont en tête. Cet intérêt pour la Pleine Conscience de la part du monde du management et des grands philanthropes peut surprendre, mais quand on voit la teneur des articles publiés sur ses bienfaits, on voit très bien le lien. Elle rendrait plus performant au travail, malgré tous les bâtons mis dans les pieds des salariés …
Comment se fait-il que les salariés sont si stressés qu’il leur faut de la PL ? Pourquoi sont-ils addicts à leur travail (“workaholism”) et à leurs smartphones, même chez eux le soir ? Pourquoi sont-ils inquiets. Pourquoi le rythme s’accélère-t-il ? S’accélère-t-il tout seul, comme un phénomène naturel ? Ou est-ce que les managers y sont pour quelque chose ? Les mêmes managers qui publient des études et des articles sur les bienfaits de la Pleine Conscience ? En précisant bien qu’il n’y aucun conflit d’intérêt, puisqu’ils ne sont que des chercheurs.
Ils pourraient faire des recherches sur les causes, et les causes de ces causes. Mais ils semblent vouloir lutter surtout contre "les phénomènes addictifs" des salariés (travail, smartphone, télétravail ...). “Les « workaholics » travaillent sans relâche”, lit-on dans l’article. Sans doute parce qu’ils sont addicts, sinon pourquoi travailleraient-ils sans relâche ? “Les journées de travail s’allongent de manière inconsidérée”, tout seul ? Qui les allonge ? Le stress etc. qui est le résultat naturel de cette surexploitation conduit “à une diminution de la performance au travail”. D’accord, ce n’est peut-être pas du philanthropisme à 100%, mais disons qu’aider les salariés (et les “acteurs de changement” de demain en culottes courtes) à mieux résister aux conditions de travail infernales c’est quand même une opportunité win-win, qui profite à toute la société.
Même dans une société en pleine crise à cause d’un coronavirus et le manque de moyens, de ressources et de services, pour y faire face, les bienfaits de la Pleine Conscience sont là, fidèles au poste. Il y a de la marge pour le monde du travail, cela ouvre des perspectives…
“La pleine conscience est une alliée précieuse pour faire face aux incertitudes et aux situations de crise, comme le démontre une étude récente menée pendant un mois (de février à mars 2020) sur des Chinois en quarantaine à Wuhan, en Chine. Une pratique quotidienne de pleine conscience a réduit leur niveau d'anxiété et amélioré leur sommeil. Cette étude corrobore nos résultats, et confirme ainsi une nouvelle fois les bienfaits de la pleine conscience sur l’équilibre de vie.”
Pour l’étude “Mindfulness Buffers the Impact of COVID-19 Outbreak Information on Sleep Duration” c’est par ici, les auteurs de cet article sont rattachés à la China Europe International Business School (CEIBS).
Pour l’immortalité comme bienfait, ce n’est pas pour tout de suite, mais c’est en bonne voie. Le record a été mis à huit ans de rabe déjà.
[1] La dialectique peut-elle casser des briques ? est un film français de René Viénet sorti le 8 mars 1973.
[2] Professeure Associée - Académie Digitalisation, SKEMA Business School
[3] Associate professor, marketing, IÉSEG School of Management
[4] “Cette contribution s’appuie sur l’article de recherche de Carole Daniel, Élodie Gentina et Jessica Mesmer-Magnus intitulé « How does mindfulness affect performance? The mediating role of workaholism and work-family conflict », qui est accepté à la conférence SIOP (avril 2020, Austin, Texas, États-Unis).”
[5] “Le protocole de formation à la pleine conscience le plus célèbre est le programme MBSR (Mindfulness-Based Stress Reduction). Il a été développé par Jon Kabat-Zinn, fondateur du centre pour la pleine conscience en médecine de l’université du Massachusetts. Le programme MBSR dure deux mois. Il comprend huit séances hebdomadaires de deux heures trente, auxquelles s’ajoute une journée en silence. En complément, les participants sont invités à pratiquer quotidiennement chez eux (six jours sur sept, entre 20 et 45 minutes, avec l’aide de fichiers audio).”
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[1] La dialectique peut-elle casser des briques ? est un film français de René Viénet sorti le 8 mars 1973.
[2] Professeure Associée - Académie Digitalisation, SKEMA Business School
[3] Associate professor, marketing, IÉSEG School of Management
[4] “Cette contribution s’appuie sur l’article de recherche de Carole Daniel, Élodie Gentina et Jessica Mesmer-Magnus intitulé « How does mindfulness affect performance? The mediating role of workaholism and work-family conflict », qui est accepté à la conférence SIOP (avril 2020, Austin, Texas, États-Unis).”
[5] “Le protocole de formation à la pleine conscience le plus célèbre est le programme MBSR (Mindfulness-Based Stress Reduction). Il a été développé par Jon Kabat-Zinn, fondateur du centre pour la pleine conscience en médecine de l’université du Massachusetts. Le programme MBSR dure deux mois. Il comprend huit séances hebdomadaires de deux heures trente, auxquelles s’ajoute une journée en silence. En complément, les participants sont invités à pratiquer quotidiennement chez eux (six jours sur sept, entre 20 et 45 minutes, avec l’aide de fichiers audio).”